D'après Reporters sans frontières, la Syrie est le pays le plus dangereux au monde pour les journalistes. Depuis le début de la guerre civile en 2011, 40 journalistes y ont été tués, en plus des enlèvements et des emprisonnements qui se comptent par dizaines.

Ces tristes statistiques ont maintenant un visage : celui de James Foley, journaliste américain assassiné par les jihadistes de l'État islamique d'Irak et du Levant (ISIS), qui ont filmé son horrible exécution. À la fin de cette vidéo, ils menacent de tuer un autre journaliste américain, Steven Sotloff, disparu depuis un an, si les États-Unis ne cessent pas leurs frappes en Irak.

Le président Barack Obama a réagi en déclarant que « L'EI n'a pas sa place au XXIe siècle ».

Mais force est de constater que l'EI, en dépit de son anachronisme, sait très bien utiliser les outils du XXIe siècle. Nous ne sommes plus en face de ces images floues d'Oussama Ben Laden dans une grotte. Le « message à l'Amérique » de l'EI est filmé en HD, par deux caméras, et un travail de montage a été fait avant d'être envoyé sur YouTube.

Spontanément, un mouvement s'est créé pour inciter les gens à ne pas partager ces images atroces, sous le hashtag #ISISmediablackout, afin de ne pas jouer le jeu pervers des jihadistes - et Twitter a finalement décidé de suspendre les comptes des utilisateurs qui le faisaient.

Voilà une réaction qui appelle, humainement, à la dignité, et qui souhaite tuer médiatiquement l'EI. Mais le web est comme l'hydre à plusieurs têtes ; quand on y censure un lien dans ses méandres, il en réapparaît deux. Même que plus on incite à la censure, plus on attire l'attention sur ce que l'on veut censurer. Cela fait partie du jeu pervers. Une situation sans issue, qui n'empêchera pas les prochaines exactions de l'EI, ni leurs diffusions.

Que des gens ne veuillent pas voir ces images est tout à fait normal. C'est un problème récurrent des médias lorsqu'ils sont confrontés à l'horreur. Jusqu'où doit-on la montrer pour bien rendre compte de la situation ?

James Foley, lui, n'a pas hésité à aller couvrir les conflits les plus violents de la planète. Le journal The Atlantic rapporte ses propos, après la révolution libyenne, en 2011, pendant laquelle il avait été otage des soldats de Kadhafi. « Si nous, les journalistes, n'essayons pas d'être vraiment très près de ce que les gens vivent, nous ne comprenons pas le monde. »

Pour avoir voulu comprendre de près et exposer la terrible guerre civile en Syrie, l'une des pires catastrophes humanitaires de notre temps, James Foley a payé de sa vie. Ce qui devrait nous horrifier ou nous indigner, ce ne sont pas ceux qui ont regardé son assassinat, mais ceux qui l'ont tué. Plus important encore, refuser l'indécence de sa mort filmée ne devrait pas nous faire détourner les yeux de ce qu'il a voulu montrer : la souffrance des pays en guerre.

Lisez les reportages de James Foley en Libye pour le Global Post : http : //www.globalpost.com/series/inside-gaddafi-libya-james-foley