Le juge égyptien Saïd Youssef Sabry ne fait pas les choses à moitié. Il y a un mois, il a condamné à mort 528 militants islamistes accusés, entre autres offenses, d'avoir causé la mort d'un policier d'El Minya, une ville de la Haute-Égypte.

Lundi, il en a remis, en condamnant 683 autres Égyptiens à la peine capitale. Cette fois, ils sont accusés d'avoir incendié un poste de police dans une autre localité. On leur reproche aussi leur appartenance à l'organisation interdite des Frères musulmans.

Au total, deux séances d'un seul tribunal ont suffi pour condamner à mort plus de 1200 personnes - un sinistre record dans l'histoire de la justice moderne.

Remarquez que le juge Sabry a du coeur. Lundi, il a aussi commué la peine de 491 condamnés du premier groupe en une peine d'emprisonnement à vie. Ce qui ne laisse «que» 37 personnes confrontées à la perspective d'une exécution.

On imagine que la majorité des condamnés du second groupe finira, elle aussi, par profiter de son «humanité». Possible aussi que leur peine soit rejetée en appel. Ou alors que le grand Mufti d'Égypte, qui doit parapher les condamnations à mort, soit saisi d'un sursaut de conscience et ne laisse pas les victimes de cette farce de la justice aller à l'abattoir.

Car c'est bien de cela qu'il s'agit: une farce en deux temps où le juge Sabry ne s'est même pas donné la peine de créer une apparence de justice. La vaste majorité des accusés n'ont pas assisté à leur procès. Plusieurs sont toujours en fuite. La plupart n'ont jamais pris connaissance de leurs actes d'accusation. Et leurs avocats n'étaient pas présents, eux non plus, au procès qui a réglé leur sort à la vitesse de l'éclair.

Rappelons que les actes qui ont justifié ces mégaprocès n'ont causé qu'un seul mort. Pendant ce temps, qui sera jugé pour la mort de quelque 1400 manifestants islamistes tués alors qu'ils protestaient contre le coup d'État militaire qui a chassé les Frères musulmans du pouvoir, l'été dernier? De toute évidence, personne.

Les deux procès ont soulevé, à juste titre, un tollé international. L'Organisation des Nations unies et plusieurs capitales occidentales les ont dénoncés.

Hier, à Washington, le projet de dégel de l'aide militaire à l'Égypte avait du mal à passer, et c'est tant mieux.

Car ces condamnations de masse visent essentiellement à museler toute opposition islamiste au pouvoir des militaires. On a beau ne pas aimer les Frères musulmans, cela reste un flagrant déni de justice.

À cause de leur caractère excessif, ces deux procès ont canalisé toute l'attention internationale. Mais la répression du régime militaire au pouvoir depuis le renversement du président Mohamed Morsi, en juillet 2013, ne vise pas seulement les islamistes.

Lundi, un tribunal du Caire a interdit le Mouvement du 6 avril - un groupe de dissidents à l'origine du soulèvement qui a conduit à la chute de la dictature de Hosni Moubarak, en février 2011.

Cette interdiction est passée quasi inaperçue, dans le brouhaha des mégaprocès d'El Minya. Or, elle en dit long, elle aussi, sur l'état des libertés civiles dans l'Égypte des militaires. Deux des fondateurs du Mouvement du 6 avril, Ahmed Maher et Mohamed Adel, purgent actuellement des peines de prison. Ils ne sont pas de méchants islamistes, mais de jeunes hommes qui ont cru au respect des droits et à la démocratie.

Le régime militaire pourchasse aussi les journalistes: une vingtaine d'entre eux, dont le Canadien Mohamed Fahmy, croupissent en prison. Une journaliste a été abattue récemment alors qu'elle couvrait une manifestation. Enfin, selon un article du Guardian, le régime multiplie les rafles chez les homosexuels - un autre effort visant à éteindre tout foyer potentiel de contestation.

Répression contre les médias, les islamistes, les dissidents de toute sorte: l'Égypte des militaires est en train de faire un immense bond en arrière.

Dans ce contexte, la rencontre récente, au Caire, entre le ministre canadien des Affaires étrangères, John Baird, et son homologue égyptien, Nabil Fahmy, laisse un léger malaise. Les deux hommes «ont tenu une réunion chaleureuse et productive», se réjouit le communiqué ministériel.

Depuis la deuxième série de condamnations, Ottawa a rectifié le tir en se disant «très préoccupé» par la condamnation à mort de 683 accusés. À croire que les 528 condamnations de mars n'étaient pas suffisamment préoccupantes...