Les détonations que tu entends la nuit? Ce n'est rien, des pétards, des feux d'artifice. Tout est calme. Beaucoup plus calme qu'avant.

Depuis mon arrivée en Libye, il y a une semaine, des tas de gens m'ont tenu ces propos rassurants. Et tout me portait à croire qu'ils avaient raison. Je me suis promenée seule, même la nuit, dans le centre-ville de Tripoli, sans jamais ressentir l'ombre d'une menace.

À Benghazi, deuxième ville du pays, j'ai effectivement vu des feux d'artifice se déployer au-dessus des toits, soulignant fêtes ou mariages, avec leurs pétarades inoffensives.

Ça aussi, c'est un indice d'apaisement, m'a expliqué Salah, mon traducteur. Il n'y a pas si longtemps, pour célébrer, les gens louaient des canons antiaériens et tiraient des obus!

Il y avait bien quelques éclats sous ce calme apparent. Un après-midi, un homme d'affaires tunisien, spécialiste en climatisation, est arrivé blanc comme un linge dans le lobby de mon hôtel, à Tripoli. Une fusillade venait d'éclater, dans la rue, juste devant lui.

Des incidents comme ça, il s'en passe presque chaque jour dans ce pays où chaque maison abrite une kalachnikov, voire un lance-roquette. Deux semaines avant mon arrivée, des gars armés ont tiré en l'air dans l'enceinte de l'hôpital central de Tripoli, exigeant qu'on leur rende un patient. Le mois dernier, d'ex-rebelles regroupés sous le chapeau du ministère de l'Intérieur ont encerclé le ministère de la Justice, qui voulait reprendre le contrôle d'une prison dont ils avaient la garde. Armés jusqu'aux dents, ils n'ont pas eu besoin de tirer pour convaincre le ministre de suspendre sa décision...

Chez nous, de tels événements feraient la manchette. En Libye, les gens haussent les épaules. Ils ont vu pire.

Même à Benghazi, qui a connu une trentaine de meurtres politiques depuis la chute de Kadhafi, la dernière tentative d'attentat, visant le consul italien, date d'il y a trois mois. «Ça va beaucoup mieux», insiste Saad el-Saïati, vice-président du Conseil de Benghazi.

Tout va mieux... jusqu'à preuve du contraire. Jusqu'à ce qu'un gros boum rompe ce calme trompeur, laissant apparaître les démons qui s'agitent sous la surface. C'est arrivé hier, quand une voiture piégée a explosé devant l'ambassade de France à Tripoli, faisant deux blessés et de gros dégâts - pas seulement matériels.

«C'est un désastre», s'exclame Abeir Imneina, politologue à l'Université de Benghazi, à un millier de kilomètres à l'est de la capitale, où je me trouvais au moment de l'explosion.

Jusqu'à maintenant, Tripoli avait été épargnée par les attentats qui ont coûté cher à Benghazi, désertée par diplomates et les étrangers depuis l'assassinat de l'ambassadeur américain Christopher Stevens, en septembre.

Maintenant que, pour la première fois, la terreur vise une représentation étrangère à Tripoli, la Libye risque de se retrouver encore plus isolée, craint Abeir Imneina. Elle est convaincue que des djihadistes ont visé la France pour protester contre l'intervention française au Mali.

«Des islamistes stupides et bornés veulent nous ramener au Moyen Âge», peste l'homme d'affaires Fatallah Ben Ali, faisant écho à la colère et aux soupirs découragés qui ont accueilli l'annonce de l'attentat.

En mars 2011, la France a stoppé les chars de Kadhafi, alors qu'ils étaient déjà entrés dans Benghazi, dans une intervention qui lui vaut encore la reconnaissance des habitants de la ville.

Mais deux ans plus tard, la Libye est un État famélique, confronté à différents groupes qui se disputent le pouvoir: djihadistes, anciens révolutionnaires qui ne veulent pas rendre les armes, tout ça sur fond de rivalités entre les villes et les clans.

Pour Claudia Gazzini, de l'International Crisis Group à Tripoli, au-delà de la punition infligée à la France pour son rôle au Mali, les auteurs de cette attaque cherchaient aussi à déstabiliser la Libye. À l'enfermer dans un cercle vicieux: plus l'État libyen sera faible et instable, plus les étrangers retiendront leurs investissements, et plus il sera faible instable. Objectif chaos, aux dépens de la vaste majorité des Libyens.