Le premier sujet d'étonnement est la création d'une nouvelle entité bureaucratique par Stephen Harper, un homme plutôt associé à l'idée d'un État modeste. Le second, ô paradoxe, est le peu de moyens dont dispose la nouvelle créature, à peine suffisants pour payer l'épicerie.

Il est question du Bureau de la liberté de religion, promis lors de la campagne électorale de 2011 et institué il y a huit jours par le premier ministre.

Le Bureau dispose d'un budget de cinq millions de dollars et emploie cinq personnes. Il est dirigé par Andrew Bennett, un intellectuel catholique, sous-diacre, professeur d'histoire du christianisme et doyen d'un collège confessionnel. Le nouvel organisme est, précise-t-on, destiné à assurer «la promotion de la liberté de croyance et de religion en tant qu'élément prioritaire de la politique étrangère du Canada».

La motivation partisane de cet exercice est claire. Il s'agit de faire un clin d'oeil à la fois aux chrétiens militants du Parti conservateur et, surtout, aux minorités religieuses locales. De fait, le baptême médiatique de la nouvelle structure a été célébré en présence d'un imam.

Le message est limpide, lui aussi. Bien qu'elle n'existe pas en théorie, la priorité donnée aux droits religieux par rapport aux autres droits est en pratique confirmée. (Ce choix est aussi celui de la Cour suprême du Canada, comme nous l'avons souvent déploré ici.)

Cependant, on sait peu de choses du modus operandi qu'adoptera le Bureau de la liberté de religion.

C'est pourtant là que le diable se cache.

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Un croyant est à peu près toujours persécuté en raison de sa foi par un autre croyant, également motivé par sa foi. Or, plus celle-ci est exacerbée chez les individus et puissante dans l'espace public, plus elle est susceptible d'opprimer cette liberté qu'Andrew Bennett a le mandat de protéger. Et de déclencher les pires horreurs - nul besoin d'illustrer.

Saisit-on bien ce que cette réalité implique?

Une crainte exprimée à l'endroit du nouveau Bureau concerne son possible «biais» chrétien ou son éventuel prosélytisme. Cette possibilité est réelle. Mais il est vrai aussi que les chrétiens sont aujourd'hui les croyants les plus persécutés dans le monde: 75% des cas d'atteinte à la liberté religieuse les concernent (2012).

Cependant, un danger plus grand encore serait d'ignorer que la seule solution au problème des guerres de religion, ouvertes ou larvées, est de baisser le feu sous la marmite de la foi. D'expliquer sans relâche la relativité de celle-ci et de résister à ses efforts d'occupation de la place publique - le contraire du prosélytisme, en somme. Enfin et surtout, de tenir la religion loin de la politique, leur union constituant un mélange explosif.

Or, ne serait-ce que sur ce dernier point, la création d'un tel office au sein de l'appareil d'État peut difficilement être vu comme un progrès.