Le vaste merdier que le gouvernement Marois a créé de toutes pièces avec son sommet sur l'enseignement supérieur n'aboutira probablement pas à grand-chose, même si on réussit à traficoter un consensus. Voilà pourquoi, si l'avenir de notre réseau universitaire nous tient à coeur, il faut déjà réfléchir à d'autres solutions.

Pour cela, il faudra élargir notre vocabulaire. Aux mots hausse, gel, indexation, gratuité, que l'on se balance allègrement à la figure, il faut ajouter celui de modulation. Moduler les droits de scolarité consiste à délaisser le principe de l'uniformité, selon lequel tous les étudiants des universités du Québec paient les mêmes 2168 $ par année, pour introduire des variations, selon la discipline étudiée ou selon les universités.

Le chef de la CAQ, François Legault, en a parlé, Raymond Bachand plus timidement, certains recteurs aussi. C'est une bonne idée qui pourrait permettre plus d'équité, réduire le sous-financement des universités et assurer une meilleure adéquation entre leurs moyens et leurs besoins.

Ce n'est pas une idée nouvelle. J'ai trouvé une chronique de 1999 où j'en parlais ! Ce n'est pas non plus une idée originale, puisque c'est la pratique courante aux États-Unis, ailleurs au Canada, en France ou en Grande-Bretagne. Mais c'est une nouveauté au Québec, où nos politiciens n'osaient pas en parler, de peur d'avoir l'air de rompre avec le sacro-saint principe de l'égalité.

Moduler, c'est un principe général. Mais il y a plusieurs façons de faire varier les droits de scolarité. La première, c'est en fonction du coût de la formation des différentes disciplines. Quatre fois plus chère en médecine qu'en sciences sociales. Ce qui mène à une étrange forme d'interfinancement où les futurs anthropologues subventionnent les futurs radiologistes.

On peut concevoir une modulation à coût nul, où les hausses pour ceux dont la formation est plus coûteuse sont compensées par une baisse pour les autres, beaucoup plus nombreux. Ce qui est d'autant plus acceptable que les disciplines coûteuses sont en général les plus payantes. On peut aussi en profiter pour augmenter les revenus des universités en ciblant les étudiants qui coûtent plus cher.

La modulation peut aussi reposer sur une autre philosophie, en liant les frais au revenu attendu du diplômé. On peut exiger davantage des étudiants en médecine, en droit ou en administration, en sachant que le fardeau de ces frais sera moins lourd pour eux. Il y a là un élément de justice sociale évident.

Dans notre culture de résistance au changement, on dénoncera ces formules en évoquant des scénarios de catastrophe. On ne veut pas du modèle américain de la Ivy League, avec ses ghettos de privilégiés, ou de frais excessifs qui limitent l'accessibilité. Il va pourtant de soi que la modulation n'a de sens que si elle est introduite prudemment, de façon équilibrée, et qu'elle est assortie de mesures d'aide.

Une troisième forme de modulation consiste à varier les frais selon les universités, pour tenir compte de leurs coûts de fonctionnement, de leur mission, mais aussi de leur pouvoir d'attraction. Le sous-financement est probablement plus prononcé pour les grandes universités de recherche, au rayonnement international, en situation de concurrence pour les professeurs, les étudiants et les fonds de recherche.

L'approche fera frémir parce qu'elle heurte le principe de l'égalité des universités. Plutôt le mythe de l'égalité. Les universités de recherche n'ont pas la même mission que les universités régionales. C'est une évidence que universités ne sont pas égales, que les programmes et les diplômes ne sont pas égaux, à moins de les niveler par le bas.

La modulation n'est évidemment pas une panacée, mais un outil parmi d'autres, qu'il ne faut pas rejeter du revers de la main. Mais est-ce que notre culture du statu quo permettra d'explorer cette piste ?