Des engueulades, des insultes, du chahut, des questions sans réponse, du cabotinage, quand ce n'est pas carrément des menaces, de l'intimidation ou des empoignades... Nos parlements, c'est bien connu, ne sont pas les hauts lieux de débats respectueux et constructifs qu'ils devraient être.

Cette ambiance de pétaudière serait même responsable, du moins en partie, du désintérêt d'un nombre grandissant d'électeurs envers la chose politique. Elle ferait aussi fuir des candidats de qualité.

La solution pour ramener un peu de civilité à la Chambre des communes serait-elle de priver de leur droit de parole, voire de leur salaire, les députés qui insultent, intimident, ridiculisent leurs collègues ou se moquent d'eux, de même que ceux qui refusent de répondre de bonne foi aux questions?

Le député néo-démocrate de Colombie-Britannique Nathan Cullen croit que oui. C'est pourquoi il a déposé cette semaine une motion en ce sens, en plus de lancer une page Facebook intitulée Civility Project - Projet civilité, dans l'espoir de rallier le plus de citoyens possible à sa cause.

Nathan Cullen affirme avoir vu des députés sortir en pleurant de la Chambre des communes après avoir été insultés, intimidés ou même menacés. «Aucun milieu de travail civilisé ne tolérerait le genre de choses qu'on entend dans la Chambre», dit le député néo-démocrate.

En décembre dernier, le leader parlementaire du gouvernement Harper, Peter Van Loan, a traversé la Chambre, furieux contre M. Cullen et son chef, Thomas Mulcair, qu'il a vertement engueulés, un doigt accusateur pointé dans la poitrine de ses rivaux. Il a fallu le prendre par le bras pour le raccompagner à sa place.

Il est rare que les esprits s'échauffent jusqu'à l'affrontement physique. Jean Charest, du temps où il était encore député conservateur, en était presque venu aux coups avec un réformiste. Plus récemment, Thomas Mulcair, ulcéré par des propos de conservateurs sur le sort de réfugiés homosexuels risquant l'expulsion vers leur pays d'origine, a pété les plombs et traversé lui aussi la Chambre.

Même rares, ces événements sont inacceptables, affirme Nathan Cullen.

«C'est comme la violence au hockey, dit-il. Certains disent que ça fait partie du jeu, mais la Ligue nationale essaie quand même d'éliminer les commotions cérébrales. Les menaces, l'intimidation, les propos racistes, sexistes ou homophobes sont des coups à la tête en politique.»

Sa motion propose donc de retirer du temps de parole pendant la période des questions aux partis dont un ou des députés brisent les règles de civilité. Les récidivistes de l'incivilité devraient même être suspendus sans salaire.

Aussi noble soit-elle, l'initiative de Nathan Cullen risque d'être difficilement applicable.

«Les conservateurs disent: "Dans le temps, les députés traversaient régulièrement pour se prendre à la gorge, alors, tu vois, ce n'est plus le cas aujourd'hui." Je trouve qu'ils mettent la barre bien bas.»

Les conservateurs se disent ouverts à discuter, mais ajoutent que le président de la Chambre a déjà les pouvoirs nécessaires pour imposer le respect.

Le «jeu» parlementaire provoque nécessairement des étincelles, c'est dans la nature de la bête.

Lundi, par exemple, un collègue de M. Cullen, Charlie Angus, s'est emporté contre un député conservateur, Pierre Poilièvre, en lançant cette phrase assassine: «Même lorsqu'il porte son nez de clown, ce qu'il dit n'a aucun sens.» M. Cullen admet qu'une telle remarque mériterait un premier avertissement.

L'immunité parlementaire, qui met les députés à l'abri des poursuites pour ce qu'ils disent en Chambre, est trop souvent interprétée comme un bouclier moral et une permission d'attaquer ses adversaires dans des termes inacceptables.

Tout le monde déplore les propos dégradants parfois entendus dans les parlements et l'ambiance de taverne qui y règne trop souvent, mais il sera difficile de s'entendre sur les balises de la civilité. Plus difficile encore: obliger les députés à répondre aux questions et leur interdire de «déformer grossièrement la vérité», ce que souhaite aussi M. Cullen.

Le règlement oblige déjà, en principe, les ministres et le premier ministre à répondre aux questions, mais s'il faut suspendre l'un d'eux chaque fois qu'il contourne la question ou qu'il s'en sert pour contre-attaquer l'opposition, on va se retrouver avec plusieurs fauteuils vides!

Cela dit, on peut douter de l'efficacité du remède proposé par Nathan Cullen, mais personne ne peut nier son diagnostic: nos parlements souffrent d'un grave déficit de civisme.