Quand on veut tuer son chien, c'est bien connu, on l'accuse d'avoir la rage.

Sans aller jusqu'à dire que le gouvernement Harper veut achever la chef Theresa Spence (ce qui serait de mauvais goût en ce 29e jour de grève de la faim), disons qu'il s'est arrangé pour miner sérieusement sa crédibilité en dévoilant cette semaine un rapport accablant sur la gestion d'Attawapiskat.

Il est probablement vrai que la gestion et la tenue de livres comptables à Attawapiskat, comme dans bien d'autres communautés autochtones du pays, ne sont pas optimales, mais ce rapport n'est qu'un tout petit arbre cachant l'immense forêt des problèmes des Premières Nations.

C'est comme se laisser impressionner, ce qui est apparemment le cas du ministre responsable de l'ACDI, Julian Fantino, par les déchets jonchant les rues de Port-au-Prince, au point de conclure qu'il faut illico stopper l'aide financière à Haïti.

C'est une coïncidence sordide, d'ailleurs, que ces deux histoires sortent à peu près en même temps parce que les autochtones du Canada sont, en quelque sorte, les Haïtiens du Nord.

Le degré de pauvreté et de désolation de certaines communautés est semblable à ce qu'on observe dans certains villages d'Haïti et dans les quartiers de la capitale.

On ignore les autochtones, comme les Haïtiens, sauf en période de crise, quand la situation devient critique et on intervient alors, toujours ponctuellement et sans plan à long terme, en versant toujours plus de fric dans une grande baignoire percée.

Après, on s'étonne que cet argent n'ait peut-être pas été dépensé selon les plus hauts critères d'optimisation et de suivi comptable propres aux administrations riches et efficaces. Et on menace de supprimer l'aide s'ils ne se prennent pas en main.

Le ministre Fantino dit que son gouvernement a versé 1 milliard de dollars à Haïti depuis 2006; son patron, Stephen Harper, a déjà affirmé que son gouvernement a versé près de 60 millions à Attawapiskat depuis trois ans. Dans les deux cas, constatent les deux élus conservateurs, pratiquement pas de progrès. C'est un fait, mais la faute incombe-t-elle seulement aux Haïtiens et aux autochtones? Lorsqu'il engage des millions en fonds publics dans des programmes, le gouvernement n'a-t-il pas l'obligation de faire un suivi, d'établir des échéances, de demander des comptes?

C'est trop facile, alors que pointe à l'horizon une crise autochtone nationale, de réduire le débat à la mauvaise gestion d'une seule dirigeante d'une communauté. Trop facile et trop court parce que cela dispense le gouvernement fédéral de ses propres responsabilités. Parlant de responsabilités, il a fallu un jugement de la Cour fédérale, rendu hier, pour rappeler à Ottawa que les Métis et les autochtones vivant hors réserve sont aussi des «Indiens» au sens de la loi.

La chef Spence, Attawapiskat, Idle No More sont devenus des symboles d'un fiasco national qui dépasse largement les colonnes de chiffres d'un rapport comptable. Pauvreté, viol, inceste, criminalité galopante, toxicomanie, problèmes de santé, analphabétisme, isolement, exclusion des projets de développement économique et du partage des redevances...

Ce qui inquiète les leaders autochtones, c'est qu'au moment où se prépare une ruée vers les ressources naturelles du Nord, notamment par des sociétés minières chinoises, le fédéral cherche à alléger les évaluations environnementales, tout en tenant les communautés à l'écart des décisions.

Prenez, par exemple, le projet pharaonique de la chinoise MMG, au Nunavut: 5 mines à ciel ouvert, 350 km de routes, des dizaines de ponts, des logements pour un millier de travailleurs, de gigantesques dépôts de mazout et... l'assèchement d'un lac.

De tels projets menacent non seulement l'environnement et l'habitat naturel des caribous, mais aussi la paix relative qui règne depuis quelques années entre les autochtones et le gouvernement fédéral.

Au fait, au sujet des grands projets miniers, un petit «détail» que personne ne semble avoir relevé: John Duncan est à la fois ministre des Affaires autochtones ET ministre du Développement du Nord.

M. Duncan défend les autochtones et leurs droits ou les sociétés minières qui veulent faire du développement? Où est le «check and balance», soit l'équilibre nécessaire pour les arbitrages au sein du gouvernement Harper?

À en juger par l'empressement du gouvernement Harper à vendre les ressources naturelles canadiennes, les autochtones ont probablement quelques raisons d'être inquiets.