La Commission Charbonneau mettrait un terme à ses travaux aujourd'hui qu'elle aurait déjà joué un rôle utile. Cette semaine, en effet, les témoignages de l'enquêteur Éric Vecchio et de l'entrepreneur Lino Zambito ont mis au jour le système de collusion qui détermine l'octroi des contrats de travaux publics de la Ville de Montréal.

Depuis des années, les rumeurs circulaient. À force d'acharnement et de courage, des reporters d'enquête, notamment à La Presse et à Radio-Canada, avaient pu lever le voile sur ce système. Les entrepreneurs et les gouvernants niaient, minimisaient. C'en est fini de ce petit jeu. Mercredi, dans des vidéos dévoilées par la Commission, on a vu des entrepreneurs fraterniser avec les chefs de la mafia et leur donner des liasses de billets de banque. Jeudi, en quelques dizaines de minutes, M. Zambito a confirmé tous les soupçons et expliqué comment fonctionnait la collusion à laquelle il a admis avoir participé.

Le marché de Montréal était «fermé»; une dizaine d'entreprises se partageaient les contrats. Si des conflits éclataient entre elles, ils étaient arbitrés par la mafia. En échange de cette «supervision» du système, le clan Rizzuto exigeait 2,5% de la valeur de chaque contrat. Afin d'avoir en main les dizaines de milliers de dollars requis en argent liquide, les entrepreneurs s'acoquinaient avec des fournisseurs spécialisés dans la fausse facturation.

Selon M. Zambito, les marchés d'autres régions de la province sont tout aussi «fermés». Un entrepreneur qui refuse de jouer le jeu est condamné à «manger son argent».

Jusqu'où la gangrène s'est-elle rendue? Si l'on en croit le célèbre ex-agent du FBI, Joe Pistone, «sans la corruption de fonctionnaires, de politiciens et des gens d'affaires, la mafia ne peut pas fonctionner».

Dans ce contexte, la nième crise d'indignation du maire de Montréal était tout simplement pathétique. Cela dit, Gérald Tremblay est loin d'être le seul à porter l'ultime responsabilité de ce qui s'est passé. Si ce système s'est implanté et a perduré, c'est que beaucoup de gens, par faiblesse, aveuglement volontaire ou complicité, en ont toléré l'existence. «Ça fait 30 ans que le système marche, mais les gouvernements ont fermé les yeux», déplorait hier matin à Paul Arcand le journaliste André Cédilot, spécialiste du crime organisé.

À la lumière de ce que nous apprendra la commission Charbonneau, Québec et les municipalités devront considérablement resserrer les règles. Cependant, ça ne suffira pas. Pour empêcher la pieuvre du crime organisé d'insérer partout ses tentacules, il faut la vigilance et le courage de toutes les personnes impliquées dans l'octroi des contrats publics et dans l'industrie de la construction. La corruption n'est pas seulement un problème gouvernemental; c'est un problème de société.