Deux semaines après avoir fermé son ambassade à Téhéran, le Canada amorce un autre virage diplomatique en signant une entente avec la Grande-Bretagne, qui permettra aux deux pays d'ouvrir des ambassades communes dans certaines capitales, pour l'instant inconnues.

Deux décisions qui, à première vue, n'ont rien à voir l'une avec l'autre. Mais qui témoignent d'une même mutation, qui est en train de transformer de façon radicale le rôle que le Canada joue dans le monde.

Commençons par les mariages diplomatiques anglo-canadiens annoncés hier par le ministre des Affaires étrangères, John Baird, et son homologue britannique, William Hague. En fait, selon Ottawa, il ne s'agirait pas vraiment de mariages, mais d'ententes de colocation qui permettraient de réduire la facture de ses ambassades, ou encore d'ouvrir des représentations officielles là où le Canada brille actuellement par son absence.

Et alors? Où est le problème? Pas tant dans le concept de colocation lui-même, mais plutôt dans l'art de choisir le futur «coloc». Partager des bureaux n'est pas un mal en soi, et le Canada aurait très bien pu le faire avec d'autres pays, comme l'Australie, souligne l'ancien ambassadeur canadien Paul Heinbecker. Mais faire flotter le drapeau canadien à côté de celui de la Grande-Bretagne, cela équivaut à «mettre un vernis britannique sur notre politique étrangère». Et ça, c'est clairement une mauvaise idée.

D'abord, parce que la Grande-Bretagne a un passé d'empire colonial qui n'a pas laissé que de bons souvenirs dans ses anciennes colonies, que ce soit en Asie ou en Afrique.

Ensuite, parce que le Canada a déjà été une colonie britannique... et que ces ententes de colocation risquent d'être interprétées comme un retour dans les jupes de Londres. «Nous sommes un pays indépendant, et c'est consternant que nous risquions d'être à nouveau perçus comme une puissance colonisée», dit Errol Mendes, professeur de droit à l'Université d'Ottawa.

C'est d'autant plus périlleux qu'Ottawa et Londres n'ont pas toujours marché la main dans la main en matière de politique étrangère - ne serait-ce que pour la lutte contre l'apartheid et la guerre en Irak.

Les détails de ces futures colocations restent à venir. Et il est possible qu'Ottawa saura préserver son indépendance, comme l'assure le ministre Baird. Mais aux yeux du public, le Canada sera désormais associé à la diplomatie de Londres. Et en diplomatie, l'image compte. Parfois presque autant que la réalité.

Et puis, quand on sait que le ministre Baird a fait remplacer deux tableaux du peintre Alfred Pellan par un portrait de la reine Elisabeth II, dans le hall d'entrée du ministère des Affaires étrangères, à Ottawa, on peut quand même se poser quelques questions.

L'empressement avec lequel le Canada a fermé les portes de son ambassade en Iran sème lui aussi des doutes sur l'indépendance de la diplomatie canadienne. Cela nous associe, cette fois, non pas à Londres, mais aux États-Unis et à Israël.

Le ministre Baird a justifié sa décision, qui a pris le monde par surprise, par des exigences de sécurité. «Mais les ambassades, ce sont nos yeux et nos oreilles, on ne les ferme que lorsque les balles commencent à voler», dit Paul Heinbecker. Après tout, au pire moment de la guerre froide, le Canada a maintenu son ambassade à Moscou!

L'avant-dernier ambassadeur canadien à Téhéran, John Mundy, juge lui aussi qu'il n'y avait aucune raison de prendre cette décision à ce moment précis. La diplomatie est cruciale pour résoudre la crise nucléaire iranienne, plaide-t-il dans un article paru dans le Globe and Mail. Selon lui, il s'agit d'un précédent: «C'est la première fois depuis des décennies qu'un premier ministre canadien intervient pour diminuer les chances d'une solution diplomatique en situation de crise.»

Ce qui se dessine derrière ces deux décisions, c'est la transformation radicale d'un pays qui s'est longtemps défini comme une voix indépendante, un médiateur et un faiseur de paix, et qui s'aligne peu à peu sur les faucons. C'est Lester B. Pearson qui doit se retourner dans sa tombe.