Dans une société qui ne compte pas beaucoup de riches et où l'enrichissement matériel est encore largement associé à un péché, il ne se trouvera pas grand monde pour pleurer sur le sort de 2% de la population qui devra éponger, rétroactivement, les effets financiers d'une promesse électorale du nouveau gouvernement.

Si Pauline Marois va de l'avant, elle reculera l'horloge fiscale à janvier 2012, donc neuf mois avant d'avoir été élue, pour récupérer chez les plus riches contribuables le manque à gagner dans les finances publiques provoqué par l'annulation de la taxe santé.

En soi, la mesure se défend: annuler une taxe de 200$ par adulte appliquée à tous les contribuables sans égard à leurs revenus et demander un effort supplémentaire à ceux qui gagnent 130 000$ et plus par année. Mais y a la manière, comme dirait Brel.

Le problème, ce n'est pas le fond, mais la forme. Non seulement Pauline Marois veut taxer rétroactivement une minorité de contribuables, ce qui est déjà détestable, mais, de plus, elle a volontairement caché ses intentions durant la dernière campagne électorale.

À quoi bon faire des campagnes, prendre des engagements et présenter un cadre financier si l'intention est de berner les électeurs? Déjà que les gens ne croient plus aux promesses, ils ne croiront plus les chiffres non plus. Ce que le PQ a fait, on appelle ça en passer une petite vite aux électeurs.

Depuis février dernier, Mme Marois répète que la classe moyenne sera soulagée de l'«injuste» taxe santé et que ce sont les plus riches qui compenseront la perte de revenus. Argument vendeur, qui, j'insiste, se défend, mais jamais elle n'a dit qu'elle puiserait rétroactivement dans les poches des nantis.

On le savait pourtant au Parti québécois, affirme Luc Savard, l'un des deux professeurs d'université qui ont vérifié le cadre financier du PQ.

«Ça n'a pas été dit explicitement, mais c'était implicite, dit le prof de l'Université de Sherbrooke. Pour moi, ça allait de soi et ça allait de soi dans mes échanges avec Nicolas Marceau.»

Pourquoi avoir caché ce «détail», alors? Poser la question, c'est y répondre. «Je pense que les côtés moins agréables de certaines mesures sont moins mis de l'avant pendant une campagne et le PQ ne l'a pas crié sur les toits», ajoute M. Savard.

En gros, le PQ a préféré chanter la pomme à 98% de la population avec l'abolition de la taxe santé plutôt que de dire clairement ce qui attendait les 2% restants, rétroactivement.

Encore une fois, je sais, je ne vous ferai pas pleurer dans votre latté ce matin en parlant du sort des riches, mais on peut néanmoins s'interroger sur la méthode.

Il a beaucoup été question d'éthique au cours de cette campagne. Or, manquer à l'éthique, ce n'est pas que la corruption, la collusion, les magouilles. Le manque de transparence aussi, c'est un accroc à l'éthique.

«Ce serait mieux de tout dire, en effet, c'est toujours préférable d'être transparent», note Luc Savard, qui dit avoir vérifié, et non approuvé, le cadre financier du PQ.

Si nous étions en immobilier plutôt qu'en politique, nous parlerions ici de vice caché. Le vice caché, très souvent, c'est un mensonge par omission, ce à quoi nous avons affaire dans le cas présent.

Pauline Marois sera peut-être tentée de se défendre en disant qu'elle avait annoncé son intention de faire payer les riches mais que, n'ayant pas en main toutes les données à jour sur l'état des finances du Québec, elle ne pouvait préciser quand elle le ferait.

Voilà l'autre grand vice caché de notre démocratie: l'état réel des finances publiques.

À chaque changement de régime, c'est toujours la même chose. Dans les jours suivant son accession au pouvoir, le nouveau gouvernement ouvre le grand livre des finances du Québec, comme un oracle ayant soudain accès aux tables sacrées, et découvre, ô stupeur, que le parchemin annonce de terribles nouvelles.

Les péquistes ont fait le coup aux libéraux en 2003; les libéraux leur remettent ça en 2012... et les péquistes le feront lorsqu'ils quitteront le pouvoir.

Le gouvernement sortant dit qu'il s'en est remis aux chiffres de son dernier budget; le nouveau gouvernement dit qu'il a été tenu dans l'ignorance. Entre les deux, la population est le dindon de la farce.

Il y aurait pourtant une façon d'éviter cela. Ça se fait en Ontario. Avant le déclenchement des élections (à date fixe en Ontario), le gouvernement doit publier une mise à jour économique et financière transparente, à partir de laquelle les partis élaborent leur cadre financier. Cela évite les vices cachés.

Il est temps que le Québec s'y mette, question d'éviter les approximations et les mauvaises surprises, affirme Luc Savard.

«Le gouvernement du Québec devrait ajouter ça à la loi, et je pense qu'il y aura de fortes pressions au sein même du ministère des Finances pour que Nicolas Marceau le fasse.»

On verra, comme dirait François Legault...