C'est compliqué, l'haltérophilie. Pas le sport lui-même, qui est la limpidité même: celui ou celle qui lève la plus lourde charge gagne. Ce qui est compliqué, c'est: qui on envoie à Londres?

Ben tiens, on envoie celle qui a gagné.

Qui a gagné quoi? Où? Quand? Combien de fois?

Ah, voyez. C'est compliqué. Beaucoup de calculs, des pourcentages, oui oui, des pourcentages. Des pourcentages de quoi? Fouille-moi. Mais bon, ils avaient leurs trois filles.

Christine Girard, 27 ans, la star de l'haltérophilie canadienne, 4e à Pékin, une fille de l'Abitibi qui a déménagé en Colombie-Britannique où vit son chum, un policier de la GRC qui est aussi son entraîneur. Christine lève dans la catégorie des 63 kilos.

Marie-Ève Beauchemin-Nadeau, 24 ans, étudiante en médecine, elle lève chez les 69 kilos. Ce seront ses premiers Jeux olympiques.

La troisième, c'était Marilou Dozois-Prévost, 26 ans, une grande blonde, blonde ça va, mais grande, dans ce sport-là, ça peut être un problème, pour le dos, pour les coudes, pour les genoux, pour tout. Bref, elle s'est blessée au coude gauche aux Championnats panaméricains en mars dernier. Elle n'ira pas à Londres.

Qui la remplacera?

Ça s'est réglé hier sur le boulevard Taschereau, à LaPrairie, à la polyvalente La Magdeleine, à l'occasion des Championnats canadiens.

Ça s'est réglé entre Annie Moniqui, une petite frisée qui lève chez les 58 kilos, et Valérie Lefebvre, une petite baquaise de Chicoutimi qui lève chez les 69 kilos.

C'est la frisée de 22 ans qui a gagné. Si c'était de la boxe, je vous dirais qu'elle a gagné par K.-O. Premier essai, elle a arraché 86 kg, 89 au second, elle a raté 91 au troisième, elle aurait été capable, elle s'est seulement un peu précipitée. Elle enchaînera 106, 110 et 112 kilos à l'épaulé-jeté, ses meilleures barres à vie. T'aurais dit une Coréenne du Nord qu'avait pas le droit de rater ou alors le goulag.

Elle est même pas Coréenne du Nord, elle est de Saint-Hyacinthe où elle travaille en réadaptation physique à la clinique Robert Daigneault. Le collègue de Sportcom lui a dit: te rends-tu compte, Annie, que tu t'en vas à Londres?

Pas encore, a-t-elle répondu. Mais d'après moi elle mentait, ç'a pas l'air d'une fille qu'on peut prendre au dépourvu. Elle avait bien préparé son coup et tout. Elle savait où c'était Londres, à gauche en sortant du parking de la polyvalente.

Quand elle était petite, elle jouait au hockey, je ne retrouve pas dans mes notes comment elle est passée du hockey à l'haltérophilie. Ses frères? En tout cas, la première fois qu'elle a mis ses mains sur une barre, un courant est passé, un coup de magie instantanée, elle a su que ce serait ça son sport.

Les filles en haltérophilie sont les athlètes les plus accros à leur sport que j'ai rencontrées. Les plus passionnées, les plus envoûtées. Je parlais avec Marilou Dozois hier après-midi et à un moment donné, elle s'est mise à pleurer. Parce qu'elle n'irait pas à Londres? Non. Parce qu'elle redoute que ses blessures récurrentes au dos la forceront peut-être à abandonner l'haltérophilie. Elle m'a dit: ce serait une déchirure comme dans une histoire d'amour impossible.

Marie-Ève Beauchemin-Nadeau a vécu l'an dernier une année douloureuse, son coach qui était aussi son chum ayant plaidé coupable à des accusations disons pas très sympathiques, avez-vous songé à tout abandonner, Marie-Ève?

Pas une seconde, m'a-t-elle répondu sans hésiter.

Récapitulons: représenteront le Canada à Londres en haltérophilie Christine Girard, Marie-Ève Beauchemin-Nadeau et Annie Moniqui. Les trois sont du Québec, même si Christine Girard a déserté pour la Colombie-Britannique. Substitut en cas de blessure de l'une de ces trois-là: Jeane Lassen, du Yukon. Jeane, qui lève dans les 75 kilos, était à Pékin où on ne peut pas dire qu'elle se soit illustrée.

Elles auront pour coach, à Londres, Guy Marineau de Lachute et, peut-être, mais c'est pas fait, Yan Darsigny, de Saint-Hyacinthe.

Et les garçons, me demandez-vous? Aucun garçon à Londres. Ils se sont mal classés dans les récentes compétitions internationales, notamment aux Championnats du monde. La Fédération internationale n'a alloué aucune place au Canada. Un miracle peut encore arriver d'ici les Jeux par cette même fédé internationale, qui octroie un certain nombre de wild cards, si l'une d'elles devait échoir au Canada alors l'heureux élu sera George Kobaladze, un Géorgien de Montréal, une chance sur huit millions.

Je vous reviens sur l'haltérophilie bientôt. Moi aussi je suis accro.

Photo: AFP

Christine Girard participera aux Jeux olympiques de Londres chez les 63 kilos.