Lorsque le premier ministre Stephen Harper, cet hiver dans une conférence en Suisse, a laissé entendre que son gouvernement songeait à prolonger l'âge de la retraite, cela a créé des réactions plutôt vives au Canada.

Le projet décrit dans le budget qu'a déposé jeudi le ministre des Finances Jim Flaherty devrait toutefois calmer les appréhensions. La démarche proposée pour reporter à 67 ans l'âge où l'on touche les chèques de sécurité de la vieillesse est graduelle et raisonnable.

Mais pourquoi? C'est une mesure qui cherche à refléter des transformations économiques et sociales, bien plus qu'une façon de réduire les dépenses publiques. Il s'agit d'une tendance lourde. La plupart des pays industrialisés reportent l'âge de la retraite. De plus en plus, les citoyens eux-mêmes choisissent de travailler plus longtemps, notamment parce qu'ils n'ont pas assez épargné pour leur retraite.

Résumons le projet. À partir de 2023, l'âge où l'on touche sa pension va augmenter graduellement, un mois à la fois, pour atteindre 67 ans en 2029. Les gens qui avaient 54 ans ou plus en mars 2012 ne sont pas touchés. Et ceux qui ont entre 50 et 54 ans auront droit à leur retraite quelque part entre 65 et 67 ans, selon une progression graduelle. Les gens qui ont 50 ans ou moins devront attendre à 67 ans.

C'est inéquitable, parce que les baby-boomers sont épargnés, mais pas ceux qui les suivent. Mais c'était inévitable, car on ne peut pas changer les règles du jeu de la retraite soudainement. Il fallait laisser du temps aux gens pour se préparer.

Mais il est clair que les conservateurs n'ont pas pris cette décision pour régler leur déficit. La sécurité de la vieillesse coûte actuellement 38 milliards au trésor fédéral. Avec le vieillissement, cette somme grimpera à environ 110 milliards dans vingt ans. La retraite à 67 ans permettra alors des économies de 10 milliards. Mais ce sera dans 17 ans, un horizon qui dépasse l'univers temporel d'un politicien.

Cette décision se justifie par trois réalités démographiques. La première, c'est le prolongement de la vie. L'espérance de vie à 65 ans est maintenant de 85 ans - 83,3 pour les hommes et 86,5 pour les femmes. On vit longtemps après l'âge théorique de la retraite, et de plus en plus en bonne santé. Assez pour se demander s'il est sage d'abandonner trop tôt la vie active.

Par ailleurs, il y a un déséquilibre croissant au Canada, et encore plus au Québec, entre les vieux et les jeunes. En 1970, on comptait sept travailleurs pour chaque retraité. Cette proportion est actuellement de quatre pour un. Dans vingt ans, elle sera de deux pour un. Le fardeau du vieillissement sera donc lourd pour ceux qui nous suivent. Le report de la retraite aidera ceux qui paieront des impôts dans deux décennies.

Enfin, ce déséquilibre a un impact de nature économique: la baisse de la population active. Le nombre de gens qui quittent le marché du travail pour la retraite sera supérieur au nombre de jeunes qui se mettent à travailler. Ça arrivera dans un an ou deux au Québec. Ce renversement a des incidences fiscales, mais il ralentira aussi la croissance. Pour éviter les pénuries de main-d'oeuvre, et pour soutenir l'économie, il est souhaitable que les gens restent au travail plus longtemps.

Bref, l'essence même de cette réforme est d'encourager progressivement les gens à travailler plus longtemps. C'est certainement dans l'intérêt de la société. Mais cela sera aussi dans l'intérêt personnel de bien des gens, soit parce que le travail contribue à leur qualité de vie, soit parce qu'ils n'ont pas assez d'argent pour prendre leur retraite.