Le fameux «Tax Me» du multimilliardaire Warren Buffett a ravivé la critique populaire voulant que les riches Québécois et autres Canadiens ne paient pas assez d'impôt, qu'ils ont bénéficié depuis 10 ans des plus grandes baisses d'impôt, qu'ils jouissent à tour de bras des abris fiscaux, etc.

Les «riches» paient-ils ou pas leur juste part des impôts?

Selon les plus récentes données fiscales disponibles (année 2008), il y avait 236 591 contribuables québécois qui gagnaient un revenu total de 100 000$ ou plus, soit 3,9% de tous les contribuables. Ils se sont partagé 42,2 milliards de revenu (19,4% de tous les revenus déclarés), et ils ont payé 6,6 milliards d'impôt au Québec, soit 32% de l'impôt des particuliers. Même chose ou presque du côté de l'impôt fédéral payé par ces contribuables québécois.

Peut-on dire qu'on est riche quand on gagne un revenu de 100 000$ ou 150 000$? Chose certaine, le gouvernement du Québec, lui, commence à nous imposer son plus haut taux (24%) dès qu'on gagne un revenu imposable de 80 000$. Le fédéral se montre un peu plus patient en imposant son taux maximum (24,2%) à partir d'un revenu de 130 000$.

Arrondissons les chiffres, et mettons, aux fins de l'exercice, que les Québécois sont considérés comme «riches» à partir de 150 000$. Il y en a 83 790 au Québec, soit 1,4% des contribuables qui ont produit leurs déclarations. Ils ont payé 4,2 milliards d'impôt au Québec, ou 20,5% de la facture totale de l'impôt des particuliers. En ce qui concerne la facture fédérale, les statistiques devraient se ressembler.

Bien entendu, plus le revenu total grossit, plus la liste des contribuables raccourcit. Toujours est-il qu'à partir de 250 000$, on ne compte plus que 28 941 contribuables, soit de 1%. Ils ont tout de même versé 2,5 milliards d'impôt dans les coffres du Québec, une contribution représentant 12,2% de l'impôt des particuliers. Idem ou presque pour leur facture fédérale.

À première vue, force est d'admettre que les «riches» contribuables semblent faire leur part! Depuis l'année 2000, comme on sait, les gouvernements fédéral et provincial ont réduit la facture fiscale des contribuables. Au Québec, le gros coup de sabre a été donné par le gouvernement Charest. Et les familles à faible et moyen revenu, de se vanter le gouvernement libéral, en ont largement profité.

Qu'en est-il des autres contribuables? Afin de simplifier la comparaison entre la facture des impôts payés en 2000 et 2010, nous avons pris comme référence le simple contribuable: un particulier célibataire avec un revenu imposable régulier (pleinement imposable, sans dividendes ni gains en capital), et qui ne tient compte que des crédits personnels de base, provincial et fédéral.

Les tableaux vous donnent les baisses d'impôt que les contribuables québécois ont obtenues de la part de chacun des deux ordres de gouvernement. Vous noterez que plus le revenu imposable augmente, plus la baisse accordée sur 10 ans est élevée. Exemple: le contribuable qui gagne un revenu imposable de 50 000$ a eu droit à une baisse d'impôt provincial de 2129$ et d'impôt fédéral de 2478$, pour une réduction totale de 4607$. Pendant ce temps-là, le riche contribuable qui gagne 10 fois plus d'argent (500 000$) bénéficiait d'une baisse provinciale de 12 563$ et d'une baisse fédérale de 11 386$, soit une diminution totale de 23 949$.

Avant de crier au scandale, il est important de noter que le contribuable à 50 000$ paye au total 11 846$ d'impôts combinés (fédéral, provincial) alors que le riche à un demi-million de revenu se retrouve tout de même avec une facture fiscale de 224 717$. Pour un revenu 10 fois supérieur, notre «riche» paie presque 20 fois plus d'impôt.

Si on se réfère à un des 2451 contribuables qui rapportent un revenu total de 1 million ou plus, il va sans dire qu'il «profite» d'une réduction d'impôt fort alléchante. Prenons le contribuable qui gagne 1 million de dollars de revenu imposable. Il paye aujourd'hui 41 449$ moins d'impôt qu'en 2000, soit 22 563$ de moins à Québec et 18 886$ de moins au fédéral.

Mais il n'en demeure pas moins que sa facture fiscale s'élève à 465 717$. Ainsi, il gagne 20 fois le salaire de notre contribuable à revenu moyen de 50 000$, tout en versant par contre 39 fois plus d'impôt. Quand même pas mal!

Quand on analyse froidement ce genre de données fiscales, il est clair que les riches québécois payent encore une note salée d'impôt, même après les intéressantes réductions obtenues au fil des 10 dernières années.

Je vous rappelle qu'à partir de 130 000$ de revenu imposable, le taux marginal maximum d'impôts combinés atteint 48,2%, soit 24,2% à Ottawa et 24,0% à Québec. Sur chaque tranche de 1000$ qui s'ajoute, Québec et Ottawa se partagent 482$ d'impôts, donc près de la moitié.

Cela dit, on peut toujours remettre en question le traitement de faveur que les gouvernements accordent sur les revenus tirés de dividendes et de gains en capital. Il faut admettre que ce sont surtout les gens à haut revenu qui en jouissent.

Je vous rappelle ici que les dividendes tirés des entreprises inscrites en Bourse ne sont imposés qu'aux deux tiers d'un revenu d'emploi et les gains en capital qu'à la moitié. Pourquoi offrir de tels rabais d'impôt aux gens qui investissent alors que les travailleurs se font pleinement taxer leurs revenus d'emploi? Entre nous, en quoi un revenu de placement en Bourse mérite-t-il un alléchant rabais fiscal comparativement à un revenu d'emploi ou un revenu d'intérêt pleinement imposable?

Quoi qu'il en soit, il y a effectivement une catégorie de riches qui bénéficient d'un traitement fiscal inadmissible. Et c'est un scandale. Je fais référence ici aux hauts dirigeants des entreprises inscrites en Bourse. Cette poignée de privilégiés encaissent annuellement des centaines et des centaines de millions de dollars sur lesquels ils ne paient qu'un faible taux d'impôt comparativement à un revenu d'emploi.

Grâce en effet aux régimes d'options, ils encaissent annuellement des tonnes de profits en liquidant des blocs d'actions qu'ils obtiennent sans courir le moindre risque. Alors que leurs revenus d'emploi sont imposables à un taux maximum de 48,2%, les gains encaissés avec les régimes d'options ne sont assujettis en réalité qu'à un taux maximum de 30,0% (12% à Ottawa et 18% à Québec). C'est pire ailleurs au Canada, alors que ces riches dirigeants d'entreprise ne paient sur ces revenus d'emploi déguisés que la moitié des impôts requis sur un revenu similaire d'emploi.

Il est là le scandale fiscal quand on pense à l'impôt des riches.