Il aura fallu près de quatre jours. Mike Lazaridis, fondateur de Research in Motion, a finalement présenté ses excuses hier aux millions d'utilisateurs du BlackBerry qui ont été abruptement sevrés des services de communications auxquels ils sont accros.

«Depuis le lancement du service BlackBerry en 1999, mon but était d'offrir un service de communications fiable et en temps réel, offert partout au monde. Cette semaine, nous n'avons pas été à la hauteur, ni même proche, a dit Mike Lazaridis dans une vidéo mise en ligne sur le site de RIM dans la nuit de mercredi à hier.

«Je m'excuse pour les pannes de cette semaine. Nous avons déçu plusieurs d'entre vous. Mais je vous assure qu'on travaille nuit et jour pour résoudre ce problème. Vous vous attendez à plus de nous, et moi aussi.»

Le problème s'est réglé en matinée. Mike Lazaridis l'a confirmé lors d'une téléconférence en compagnie de Jim Balsillie, ce dirigeant avec qui il partage la direction de RIM.

Mais ces interventions de la haute direction sont arrivées bien tard. Elles n'ont pas effacé cette impression que les deux hommes à la tête de RIM se sont défilés la veille, lors d'une téléconférence organisée à la hâte. Seul le chef de la technologie, David Yach, a affronté la tempête.

S'excuser, ce n'est jamais facile. C'est admettre que son entreprise a commis une gaffe et qu'on en assume pleinement la responsabilité. Rappelez-vous tout le temps qui s'est écoulé avant qu'Akio Toyoda n'exprime ses regrets en 2010 à la suite de la vague de rappels de véhicules la plus importante de l'histoire de Toyota.

Cet acte de contrition, même s'il est largement symbolique, est pourtant essentiel pour rétablir la confiance des clients. C'est ce qu'avait fait Michael McCain, le grand patron de Maple Leaf Foods, lorsque l'une de ses usines ontariennes a été contaminée par la bactérie responsable de la listériose, en août 2008. Vingt personnes en seraient mortes.

Ignorant les conseils de ses avocats, Michael McCain avait rapidement diffusé sur YouTube un message télévisé d'excuses où une peine sincère se lisait sur son visage.

Dans le cas de RIM, il faut relativiser les choses. Personne n'est mort en étant privé de son BlackBerry. On a peut-être même sauvé la vie de conducteurs imprudents qui rédigent des textos au volant!

Mais ces pannes qui se sont succédé par un effet domino planétaire sur le réseau de communication de Research in Motion ont miné ce que l'entreprise de Waterloo a de plus précieux: sa réputation de très grande fiabilité et sa sécurité à toute épreuve.

Ce n'est pas la première panne chez RIM, loin de là. Avant les événements de cette semaine qui se sont déclenchés en Europe, l'entreprise a connu des interruptions de service à quatre reprises depuis 2007. Mais aucune de ces pannes n'a touché autant d'utilisateurs.

Les dirigeants de RIM n'ont pas chiffré hier le nombre de clients privés de service. Cependant, des experts estiment que près de la moitié des 70 millions d'utilisateurs de BlackBerry dans le monde ont été touchés par le bris d'un équipement de télécommunications pour lequel le système de sauvegarde a échoué à se déployer.

Il ne fallait pas attendre qu'Arianna Huffington, la papesse de l'info électronique, se plaigne à ses 748 475 abonnés sur Twitter qu'aucun de ses trois BlackBerry ne fonctionnait alors qu'elle attendait son vol pour Istanbul à l'aéroport de Milan. Il fallait aller au-devant de la critique.

Interrogé à ce sujet, Jim Balsillie s'est porté à la défense de son collègue Mike Laziridis hier. En dirigeant les opérations de recouvrement, cet ingénieur avait les deux mains dans le cambouis, a-t-il expliqué en substance. «Personne n'est retourné chez lui depuis lundi», a-t-il dit.

Et lui, que faisait-il? Il tenait l'échelle? Jim Balsilie a manqué une belle occasion de démontrer qu'une direction bicéphale, cela peut servir à quelque chose.

Il reste à voir si une faute avouée est à moitié pardonnée. À la fin, la gestion de cette crise n'intéressera plus qu'une poignée d'experts en management. Ce qui compte le plus, c'est de mesurer les répercussions de ces pannes.

Armés de leurs calculettes, les analystes s'affairaient hier à estimer l'impact financier de cette crise. Un éventuel dédommagement des utilisateurs frustrés, par l'entremise des opérateurs en téléphonie, pourrait coûter jusqu'à 118 millions US dans le pire des cas. Cela reviendrait à retrancher 22 cents au bénéfice par action du prochain trimestre, a estimé Gus Papageorgiou, analyste chez Scotia Capital.

Ce n'est pas une bagatelle. Mais ce n'est rien dans le grand ordre des choses.

Plus incertain est l'impact sur les ventes de Research in Motion, alors que l'entreprise s'apprête à renouveler sa gamme d'appareils vieillissants avec un nouveau système d'exploitation.

Les pannes de cette semaine ont affecté les régions où RIM connaît ses croissances les meilleures, comme au Proche-Orient et en Asie (l'Inde dans ce cas-ci). Les dirigeants de l'entreprise ontarienne ont eu beau répéter hier que leur réseau a été «fiable à 99,97%» au cours des 18 derniers mois, un doute subsiste maintenant dans l'esprit des clients.

Les pannes ont-elles aliéné les clients au point où ceux-ci délaisseront RIM pour les téléphones intelligents d'Apple ou de Google? RIM a-elle raté son grand retour?

«C'est notre grande inquiétude, a admis Mike Lazaridis à la fin de la téléconférence dans une voix qui trahissait l'émotion. Nous sommes soucieux, mais nous sommes déterminés à regagner la confiance de nos clients.»

On ne peut que leur souhaiter bonne chance.