S'il y a une constance chez les Américains, c'est leur façon de faire passer leurs intérêts commerciaux avant ceux de leurs bons partenaires, peu importe les traités de libre-échange et les autres accords internationaux. Le fair-play, très peu pour les gringos.

Le Canada en a eu une nouvelle manifestation, hier, à Washington, durant les audiences de la US Federal Maritime Commission. Alerté par des élus de la côte Ouest, le président de cette commission a décidé d'ouvrir une enquête.

Son but officiel est de vérifier si les ports de la Colombie-Britannique et les liaisons ferroviaires de l'ouest du pays ont profité de subventions illégales. Ce système de transport intermodal permet aux Canadiens d'acheminer plus rapidement des marchandises de l'Asie au Midwest américain.

Mais dans les faits, la conclusion est déjà tirée. Si le Canada gruge de petites parts de marché aux grands ports de la côte ouest des États-Unis - Los Angeles, Long Beach, Seattle -, c'est qu'il triche assurément. D'où cette idée d'imposer aux conteneurs qui entrent aux États-Unis par l'entremise d'un port canadien des droits supplémentaires. Avec, à la clef, des mesures d'inspection plus tatillonnes.

Les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique de même que des sociétés privées ont investi 3,5 milliards de dollars dans les infrastructures intermodales de l'Ouest. Consentis dans le cadre de l'initiative de la Porte de l'Asie-Pacifique, ces investissements visent à désengorger les quais et les gares de triage et à rendre plus fluide le trafic de marchandises. En une phrase, à rendre le pays plus concurrentiel.

En quoi l'efficacité peut-elle être assimilée à du dumping ou à d'autres mesures anticoncurrentielles? On se le demande.

Cette accusation est d'autant plus injuste que ce sont les Américains qui, il n'y a pas si longtemps encore, manoeuvraient pour détourner du trafic maritime du Canada vers les États-Unis. En 2009, par exemple, le port de Seattle consentait des rabais à tout armateur qui augmentait le volume de marchandises ou de conteneurs manutentionnés sur ses quais.

Le président de Port Metro Vancouver, Robin Silvester, que j'avais interviewé à cette époque, avait toutefois refusé d'emboîter le pas et de casser ses prix. De tels rabais, expliquait-il, auraient compromis la capacité de Vancouver d'investir dans ses infrastructures!

Les Américains ont tout simplement fait les mauvais choix. Mais, avoir raison, c'est une chose. Sortir victorieux d'un bras de fer avec son principal partenaire commercial, c'est une autre histoire.

C'est une leçon que les Canadiens ont apprise à la dure, à la suite de l'interminable conflit sur le bois d'oeuvre. Ce conflit s'est terminé en 2006, soit 23 ans après la première plainte déposée par les États-Unis. Et il s'est soldé par un règlement à rabais en échange d'une paix que les producteurs canadiens espèrent durable. Et cela, même si les Canadiens avaient remporté leur cause devant tous les tribunaux et instances qui ont eu à se pencher sur ce conflit.

Les instincts protectionnistes ont toujours été très présents aux États-Unis. Mais ils ressortent avec encore plus de force lorsque l'économie tourne au ralenti, comme c'est le cas en ce moment. Aussi, cette tentative d'imposer des tarifs aux conteneurs qui transitent par un port canadien survient au moment où le nouveau plan de relance de l'emploi du président Barack Obama comporte une clause Buy American. Encore une!

C'est ce que les Canadiens ont appris avec consternation en lisant le texte du projet de loi dévoilé à la mi-septembre. Dans ce projet de loi de 447 milliards de dollars, 100 milliards sont alloués à la construction et à la réfection d'écoles, de routes, de ponts et de systèmes de transport.

Un article stipule toutefois qu'aucun projet de construction ou de réparation d'un ouvrage public ne peut être financé sans que tout l'acier, le fer et les produits manufacturiers servant au projet aient été produits aux États-Unis.

Seule exception: les produits américains qui feraient grimper le prix du projet de 25% dans son ensemble. Mais c'est une démonstration qui s'annonce laborieuse à faire auprès des fonctionnaires américains.

À sa face même, cela contrevient sinon au texte, du moins à l'esprit de l'Accord de libre-échange nord-américain et aux accords commerciaux sous le parapluie de l'Organisation mondiale du commerce.

On ne sait pas quand ce projet de loi sera adopté ni sous quelle forme, vu la polarisation actuelle du Congrès à une année des élections présidentielles. Mais étant donné l'urgence de créer des emplois, il ne serait pas surprenant que le American Jobs Act soit adopté sous une forme ou une autre. Déjà hier, des républicains ont pris le président Obama au mot et ont réclamé le vote sur ce projet de loi.

Tout ce que le Canada compte de politiciens et de lobbyistes branchés à Washington devra s'activer pour tenter de faire renverser cette disposition. C'est ce qu'ils ont fait en 2009, alors que la clause Buy American du programme pour stimuler l'économie de 787 milliards US avait empoisonné les relations canado-américaines toute l'année. In extremis, Ottawa avait obtenu une dispense.

Le Canada devra donc reprendre tout ce travail diplomatique de sensibilisation, des courbettes entremêlées de menaces polies. Ouf!

Cela donne envie d'envoyer paître les Américains. Et puis, on se rappelle que, dans une guerre commerciale ouverte, ce sont les Canadiens qui ont le plus à perdre.

Même avec un dollar fort, les Canadiens exportent encore plus de produits et de services aux États-Unis (307 milliards en 2009) que les Américains ne vendent de produits et de services ici (286 milliards). Traduit simplement, les Canadiens ne tiennent pas le gros bout du bâton dans cette affaire.

Avec des amis comme cela, on se tourne la langue sept fois et on affiche son plus grand sourire poli.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca