SNC-Lavalin et Alimentation Couche-Tard. Pendant des décennies, ces deux entreprises ont forcé l'admiration du Québec avec leurs succès à l'étranger. Mais depuis un an, elles ont saboté leur image par leurs décisions et maladresses.

Aujourd'hui, il n'est plus incongru de comparer SNC et Couche-Tard à Halliburton et à Walmart, avec toutes les connotations négatives associées à ces géants américains. Tout cela parce que ces sociétés québécoises ont pris leurs communications à la légère. Leurs décisions hautement contestables auraient nécessité du doigté, à défaut d'être repensées. Autopsie de deux fiascos.

SNC-Lavalin célèbre cette année son centenaire. Mais l'anniversaire que cette firme d'ingénierie voulait à juste titre souligner a servi le plus souvent à plonger l'entreprise dans l'embarras. Sur toutes les tribunes, le grand patron de SNC, Pierre Duhaime, a dû défendre la construction d'une prison à Tripoli, dans la Lybie totalitaire de Mouammar Kadhafi.

Pierre Duhaime pouvait donc s'attendre à ce que des journalistes l'interrogent sur le rapport explosif de Jacques Duchesneau, directeur de l'Unité anticollusion, en marge de son allocution devant le Cercle canadien de Montréal lundi. D'autant plus qu'un chapitre de ce rapport est consacré aux firmes d'ingénierie-conseil.

Le PDG de SNC n'a pas hésité et a mordu aux micros qui lui étaient tendus.

La journaliste en moi ne peut qu'admirer la candeur de M. Duhaime, qui intervient sur un dossier d'actualité brûlante. Il aurait été si facile de dire qu'il n'avait pas lu ce rapport, comme le premier ministre Jean Charest l'a fait après sa sortie. Il aurait été si facile de se taire, comme d'autres firmes d'ingénierie l'ont fait avec couardise.

D'ailleurs, Pierre Duhaime n'a pas tout à fait tort lorsqu'il affirme que le lien présumé entre la collusion dans la construction, la corruption au gouvernement et le financement occulte des caisses électorales est ténu dans le rapport Duchesneau.

Mais se draper du blanc de la virginité et affirmer catégoriquement que «chez SNC-Lavalin, ça n'existe pas», c'est s'exposer à tomber de haut.

Au début du mois, la Gendarmerie royale du Canada a perquisitionné dans les bureaux de SNC à Oakville, en banlieue de Toronto, à la demande de la Banque Mondiale. Cette institution financière enquête sur des allégations de corruption relatives à l'attribution d'un contrat pour construire un pont sur le fleuve Padma au Bangladesh. SNC-Lavalin n'a pas remporté cet appel d'offres et collabore pleinement avec les autorités policières.

Au début des années 2000, la Banque asiatique de développement a placé SNC International et la division ontarienne de SNC sur sa liste noire. Elle leur a interdit de présenter des soumissions après que SNC eut fait de fausses représentations pour décrocher un contrat au Laos.

Tout cela pour dire que, quand on emploie 24 000 salariés dans une trentaine de pays, il est hasardeux de se porter garant de l'ensemble de son effectif.

La façon désinvolte par laquelle Pierre Duhaime discrédite les informations du rapport Duchesneau est aussi déconcertante. Il qualifie les constats des policiers québécois d'«allusions». Mais, comme certains l'ont déjà relevé cette semaine, il n'a aucun mal à croire sur parole le colonel Kadhafi et ses fils lorsque les dirigeants libyens affirment qu'il n'y a aucune violation des droits de l'homme dans leur pays, en contradiction flagrante avec toutes les enquêtes indépendantes sur le terrain.

Pour citer une expression crue de l'humoriste Patrick Huard, «quand ta femme te demande si elle a pris du poids, tu fermes ta gueule».

À l'autre extrême se trouve Alain Bouchard, grand patron d'Alimentation Couche-Tard. Il s'est réfugié dans le silence et refuse d'expliquer ses décisions controversées depuis que ce détaillant de Laval tente de faire barrage à la campagne de syndicalisation menée par la CSN.

Les communications n'ont jamais été le fort de Couche-Tard. Aux journalistes qui se plaignent d'attendre longtemps qu'on les rappelle (j'ai déjà attendu trois jours sur un dossier brûlant), le chef de la direction financière, Raymond Paré, rétorque que leurs marges bénéficiaires sont si minces que l'entreprise n'a pas les moyens de se payer un directeur des communications à 150 000 $ par année.

Soit. Mais voir le PDG d'une grande entreprise menacer ses employés de représailles sur une vidéo de la facture d'un amateur, ce n'est rien pour fidéliser les employés à l'entreprise, notamment les jeunes commis rompus aux communications modernes.

Alain Bouchard est farouchement antisyndical et il assume ses opinions. En revanche, il était mortifié quand La Presse a écrit qu'une caissière victime d'un hold-up n'avait pas bénéficié d'une journée de repos payé; il a demandé sur l'heure une enquête interne sur cet incident.

En privé, Alain Bouchard vous dira que la CSN véhicule plusieurs faussetés à l'endroit de Couche-Tard. Mais quand on lui fait remarquer que le détaillant aurait intérêt à rétablir les faits et à corriger les inexactitudes, Alain Bouchard campe sur ses positions.

L'image de l'entreprise est ternie au Québec depuis la fermeture de trois dépanneurs en voie de syndicalisation, dont deux en moins d'un an.

Les ventes de Couche-Tard, qui se réalisent à 80 % aux États-Unis, ne pâtiront pas de la campagne de boycottage actuellement menée sur des médias sociaux. Mais cette image trouble commence à se répercuter chez les investisseurs institutionnels, qui expriment plus ouvertement leur mécontentement sur la gouvernance de Couche-Tard.

De la même façon, SNC pourrait connaître des lendemains difficiles lorsque le Conseil national de transition des forces rebelles prendra véritablement les commandes de la Libye. En rouvrant son ambassade à Tripoli il y a 10 jours, le gouvernement du Canada dit s'être assuré du respect des contrats signés sous le régime Kadhafi. Mais la fidélité de SNC au régime de Kadhafi jusqu'à la toute fin - contrairement à la pétrolière Suncor, qui l'a largué en juin - pourrait hanter la firme d'ingénierie montréalaise.

Comme quoi la communication, ce n'est pas que de la décoration.