Nombreux sont les économistes occidentaux qui, depuis quelques années, multiplient les avertissements. La Chine a ébloui tout le monde avec un rythme de croissance fulgurant, mais les choses ne peuvent pas continuer tout le temps comme cela. Un jour ou l'autre, inévitablement, l'économie chinoise va frapper un mur.

Hier, dans son excellente chronique hebdomadaire La planète économique, mon collègue Richard Dupaul citait notamment le réputé économiste américain Nouriel Roubini, pour qui «la Chine va subir un atterrissage douloureux en 2013», autant dire demain. La semaine dernière, deux autres poids lourds, la Banque mondiale et l'agence Standard&Poor's, sont venus amplifier le pessimisme ambiant en évoquant un éventuel éclatement de la bulle immobilière chinoise.

L'immobilier est un des piliers les plus spectaculaires de l'économie chinoise. Il est fort possible que l'effondrement de ce secteur entraîne toute l'économie dans la géhenne, comme ce fut le cas avec l'éclatement de la bulle immobilière japonaise il y a 10 ans.

Mais il y a une différence. Dans le cas de la Chine, le retour à la réalité risque d'être beaucoup plus brutal parce que, derrière la magnifique façade de l'économie chinoise, se cachent un certain nombre de fissures qui représentent autant de circonstances aggravantes.

En voici cinq:

- La corruption. Selon le plus récent classement de Transparency International, qui fait autorité en la matière, la prospérité économique n'a pas réussi à effacer la corruption rampante en Chine. Pour évaluer le niveau de corruption dans le monde, l'organisme attribue à chaque pays une note de 1 à 10. Plus la note est basse, plus le pays est corrompu. La Chine ne peut faire mieux que 3,5, ce qui lui vaut au palmarès une place en compagnie du Lesotho, de la Serbie et de la Colombie, qui ne sont pas les endroits les plus reposants pour faire des affaires.

- La fin de la main-d'oeuvre bon marché. Si la Chine a pu afficher une telle croissance aussi rapidement, c'est en bonne partie parce que sa main-d'oeuvre a accepté pendant des années de travailler à des conditions très nettement au-dessous des normes des pays riches. Pour n'importe quelle entreprise, c'est une aubaine.

Or, cet âge d'or du cheap labor chinois tire à sa fin. De plus en plus de travailleurs chinois n'acceptent plus de mettre leur santé en danger pour des salaires de misère.

- Les inégalités régionales. Le boom économique est loin d'avoir profité à tout le monde. En moins de deux générations, les grandes villes situées le long de la côte ont réussi à passer d'une situation de pauvreté à un niveau de vie qui se compare aux pays riches. Mais, dans les provinces de l'intérieur subsistent encore de très larges régions qui appartiennent encore au tiers-monde. À Shanghaï, le produit intérieur brut (PIB) par habitant frise les 20 000$. Dans le Guizhou, une province du Sud-Ouest, il atteint à peine 3300$. À l'intérieur du même pays! Les écarts sont tels que les autorités doivent limiter les déplacements pour éviter que les régions riches soient submergées par les migrants des provinces pauvres. Sur le plan social comme sur le plan économique, c'est une situation malsaine.

- La double comptabilité. La plupart des experts reconnaissent que la Chine a fait des progrès dans ce dossier, mais il reste encore beaucoup à faire pour améliorer les pratiques comptables chinoises. Beaucoup d'entreprises et d'administrations publiques continuent de tenir deux jeux de livres, de sorte qu'il n'est pas toujours possible de discerner la véritable situation de leurs états financiers. À long terme, on ne peut pas bâtir une économie stable et crédible sur de telles bases.

- Le déficit démocratique. Il existe bien quelques exceptions (comme certains pays arabes producteurs de pétrole), mais, dans l'ensemble, le lien est bien réel entre le niveau de vie d'une société et le développement de ses institutions démocratiques. Or, la Chine, à cet égard, a une longue côte à remonter. Tout aussi récemment qu'en 2009, Amnistie internationale estimait qu'on comptait plus de condamnations à mort en Chine que dans tous les autres pays réunis. Peut-être, comme le prétendent les autorités chinoises, la situation s'est-elle améliorée depuis ce temps, mais on ne dispose pas de chiffres fiables sur le sujet. Quant à la vie démocratique, la liberté de la presse, la liberté de parole, on peut oublier cela!

Est-ce que M. Roubini a raison et que la Chine frappera son Waterloo en 2013? C'est possible. L'économiste américain, en tout cas, est assez téméraire en avançant une date aussi rapprochée. Ce dont on peut être certain, par ailleurs, c'est que la bulle chinoise, comme toutes les bulles qui ont existé depuis que le monde est monde, finira fatalement par crever.