D'Athènes nous sont parvenues cette semaine des images d'une rare violence; des milliers de Grecs sont en colère contre leur gouvernement socialiste qui veut leur imposer des mesures d'austérité extrêmement dures.

On peut comprendre les manifestants. L'an dernier, déjà aux prises avec une impasse budgétaire intenable, le gouvernement grec avait annoncé un train de mesures douloureuses : fortes hausses de taxes, diminution des salaires dans la fonction publique, gel des prestations de retraite, compression des dépenses, hausse de l'âge légal de la retraite. Et voici qu'un an plus tard, il en rajoute : nouvelles hausses d'impôts, nouvelles compressions de 28 milliards d'euros en cinq ans (ce qui n'est pas rien quand on sait que le budget de l'État est d'environ 100 milliards d'euros) et surtout, privatisations massives dans un pays où l'État et ses agences comptent pour 40 % du produit intérieur brut (PIB).

Il n'y a pas de doute, ça va faire très mal.

Pourtant, plus ils expriment violemment leurs frustrations, plus les Grecs risquent de se tirer dans le pied. Cela revient à aller assassiner son banquier parce qu'on n'est plus capable de payer son hypothèque; on est bien avancé après ça!

La réalité est aussi brutale que simple: les finances publiques grecques ont atteint un tel niveau de délabrement qu'il est impossible de s'en sortir autrement.

Pour la population, la désillusion est d'autant plus brusque que les Grecs ont vécu pendant des années dans l'illusion d'un enrichissement rapide. Depuis son adhésion à la Communauté européenne, la Grèce a effectivement connu une croissance économique appréciable. Les douze années entre 1996 et 2008 ont été particulièrement fastes: pendant cette période, le PIB réel de la Grèce a bondi de 60%, contre une moyenne de 29% pour les pays de la zone euro.

Mais derrière cette belle façade, la crise couvait.

Le gouvernement grec, porté par cette vague de prospérité, a oublié la prudence élémentaire et a multiplié les déficits. Toujours pendant la même période, il a accumulé près de 60 milliards d'euros en déficits budgétaires. En tenant compte des intérêts, la dette publique est ainsi passée de 120 à 262 milliards d'euros. Constatant cette dégradation, le gouvernement a adopté le pire des stratagèmes : le camouflage de ses états financiers. Depuis 2008, la situation a encore empiré: 26 milliards de déficits en deux ans, alors que la dette dépasse les 330 milliards, ou 144% du PIB. Toutes proportions gardées, la Grèce est le plus endetté des pays membres de l'Union européenne.

Dans ces conditions, il ne faut pas se surprendre si le pays a subi, il y a deux semaines, la mère de toutes les taloches financières: l'agence de notation Standard & Poor's a abaissé sa cote de crédit à CCC, le fond du baril, la dernière étape avant la cote D, qui signifie que vous êtes en défaut de paiement. Cette décote représente beaucoup plus qu'une humiliation: elle veut dire que les titres de créance émis par le gouvernement grec sont extrêmement spéculatifs, et commandent donc des intérêts élevés - ce qui contribue davantage à alourdir la dette.

Le Canada a connu le même genre de cercle vicieux dans les années 90, et tous ceux qui ont vécu cette période se rappellent des sacrifices qu'il a fallu imposer aux contribuables, aux employés de l'État, aux provinces, aux prestataires des programmes sociaux pour retrouver l'équilibre budgétaire. Or, quand on compare les deux situations, on voit que la Grèce, aujourd'hui, est dans une position deux fois pire que le Canada au plus fort de la crise.

Si la Grèce réussit à s'extirper du bourbier, ce sera grâce à l'aide financière des autres pays européens et du Fonds monétaire international (FMI). Mais ceux-ci y mettent des conditions, et ils ont bien raison: on ne peut pas renflouer un pays qui a vécu pendant des années au-dessus de ses moyens, sans lui demander de mettre de l'ordre dans ses affaires.

Les syndicats grecs, qui mènent la charge contre le gouvernement, peuvent continuer à organiser des manifestations violentes, ils peuvent traiter leurs dirigeants de et multiplier les slogans contre l'Union européenne et le FMI.

Le pire scénario qui pourrait arriver, c'est qu'ils réussissent à faire reculer le gouvernement, ce qui le mettrait automatiquement en défaut de paiement. Dans un tel cas, rien ne s'opposerait plus à ce que les autres Européens (et notamment les Allemands, qui commencent sérieusement à en avoir marre de financer ce merdier) expulsent tout simplement la Grèce de la zone euro.