Les actions du site de réseautage LinkedIn font leurs premiers pas ce matin à la Bourse de New York. Et rarement a-t-on vu un premier appel public à l'épargne aussi attendu.

Cette émission d'actions est la première d'une série à venir pour les grands sites américains de réseautage social, qui sont la coqueluche de l'heure dans le monde de la techno. Le site de microblogues Twitter et le spécialiste des rabais virtuels Groupon songent à faire une première émission publique d'actions. Ils pourraient ainsi devancer Facebook, dont l'arrivée en Bourse est attendue en 2012.

Le fait que LinkedIn ait relevé de 30% mardi la fourchette du prix de vente de ses actions, un redressement d'une ampleur jamais observée depuis 2000, d'après une compilation de la firme de recherche Dealogic, donne une idée de l'anticipation très vive que suscite ce site de réseautage professionnel.

Avec une action qui s'est finalement écoulée hier à 45$US, au haut de la fourchette, LindedIn vaut 4,25 milliards US. Cela équivaut à 275 fois les profits de 15,4 millions US enregistrés en 2010. Ouf!

Et encore, LinkedIn n'est pas la seule vedette techno dont la valeur flotte dans la stratosphère. Facebook valait autour de 50 milliards US en janvier, lors d'un placement privé. Sa valeur s'élève maintenant autour de 55 milliards US, selon le site internet SharesPost, qui suit les transactions privées d'entreprises avant «IPO». Toujours selon ce site, Twitter vaudrait 6,2 milliards US, tandis que le site de jeux de société virtuels Zynga - créateurs du populaire jeu FarmVille - vaudrait 8,2 milliards US.

Et que dire de Groupon. Après avoir repoussé une offre de 6 milliards US de Google, Groupon discute avec des firmes de courtage d'un premier appel public à l'épargne de 25 milliards US, selon les sources de l'agence Bloomberg.

Ainsi, ce n'est pas l'achat de Skype par Microsoft, une transaction de 8,5 milliards US pour une entreprise qui n'a pas encore affiché un seul dollar de bénéfice net, qui va faire dégonfler ces valeurs. «Bulle, envole-toi», disait le petit Pépin du dessin animé de mon enfance!

Le grand débat, c'est de savoir si on assiste à une nouvelle bulle spéculative, 11 années après l'écrasement des sociétés techno qui avaient défié en Bourse la loi de la gravité. En 2000, rappelons-le, l'indice phare des valeurs techno, le NASDAQ, avait effacé la moitié de sa valeur au cours de l'année, semant la destruction dans sa retraite.

Oui, affirme sans hésiter Paul Kedrosky, cet investisseur et expert en innovation et en capital-risque qui anime le blogue Infectious Greed. Mais, contrairement à la bulle de la fin des années 90, cet engouement se limite à un secteur nettement plus circonscrit des entreprises technos, soit celui des entreprises de réseautage. «Vous ne verrez pas de firmes de courtage se précipiter pour agir comme preneur ferme pour un vendeur d'équipements de télécommunications», note Paul Kedrosky, joint par téléphone en Californie, où ce Canadien d'origine s'est établi.

Et dans ce créneau précis, les entreprises sont nettement plus solides que les point-com de la fin des années 90, dont le modèle d'affaires se résumait, dans certains des cas les plus grossiers, à une idée griffonnée sur une serviette de table, comme la vente par internet de nourriture pour chiens et chats.

Les réseaux sociaux reposent sur des communautés de millions d'utilisateurs. Facebook compte plus de 500 millions d'amis dits actifs. LinkedIn met en relation 90 millions de professionnels. Groupon envoie par courriel ses offres de rabais à 70 millions d'abonnés. Aussi, même si cette popularité ne se transpose pas immédiatement en revenus et en profits faramineux, il y a là une base avec laquelle ces entreprises peuvent affiner leurs modèles d'affaires.

La question est de savoir si ces entreprises représentent de bons placements pour les investisseurs. Et là, c'est une tout autre histoire.

Pour Paul Kedrosky, il n'est pas certain qu'il vaille mieux investir dans LinkedIn que dans SalesForces.com, une entreprise qui offre aux entreprises des logiciels de gestion des équipes de vente et des relations avec la clientèle. Les deux entreprises s'appuient sur la vente d'abonnements par internet, plutôt que sur la vente de licences de logiciels. Or, malgré une poussée récente, le titre de SalesForces.com s'échange encore à un multiple des ventes projetées nettement inférieur à celui de LindedIn.

Le danger de cet engouement, c'est quand il s'étend à toutes les entreprises qui font de près ou de loin du réseautage social, et pas seulement aux pionniers ayant une avance impossible à rattraper.

À cet égard, Groupon est peut-être l'entreprise qui suscite le plus d'interrogations. Dans son créneau, il n'y a pas de barrières à l'entrée. À preuve, le lancement récent, par l'éditeur de La Presse, du site LeRenard.ca, qui rejoint les LivingSocial, DailyDeal et compagnie.

Les chasseurs d'aubaines ne sont pas fidèles. Pour ces clients volages, tout ce qui compte, c'est l'intérêt du service et l'importance du rabais.

La croissance de Groupon repose aussi sur une armée de vendeurs qui doivent négocier des offres alléchantes auprès de petits commerces, de restaurants, d'hôtels, etc. Ainsi, cette croissance est nettement plus coûteuse que celle d'un réseau social qui grandit de façon virale.

Pour toutes ces raisons, de nombreux analystes comme Paul Kedrosky recommandent aux investisseurs de prendre leurs jambes à leur cou. Surtout qu'il n'existe pas de coupons virtuels d'une durée limitée pour acheter ces actions.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca