Si Forzani et Canadian Tire avaient été célibataires, on dirait qu'ils étaient faits l'un pour l'autre. De fait, cela fait des années que les analystes spéculent sur ce possible couple de détaillants canadiens à la façon de journaux à potins.

> Suivez Sophie Cousineau sur Twitter

Pour Canadian Tire, cette acquisition de 771 millions de dollars, la première en 10 ans, est tout bénéfice. Grâce à elle, ce détaillant vénérable peut affirmer, sans crainte de ridicule, être «l'autorité ultime» dans les articles et vêtements de sport, dixit son président, Stephen Wetmore.

Depuis que cet ancien dirigeant de Bell Canada a pris la tête de l'entreprise, il y a deux ans, il s'est engagé à accroître les ventes et le rendement de Canadian Tire. Or, l'équipe de Stephen Wetmore a déjà réorganisé en bonne partie les magasins, notamment les grandes surfaces qui affichaient des ventes au pied carré décevantes. La croissance dite organique a parfois ses limites.

Par ailleurs, Canadian Tire cherche à s'affranchir de sa division des services financiers, une vache à lait grâce aux taux élevés des cartes de crédit maison. Cette division a été plus sévèrement touchée par la récession, mettant en relief une vulnérabilité.

L'acquisition de Forzani a d'autant plus de sens qu'elle permet à Canadian Tire de récupérer les clients de 18 à 35 ans qui désertent la chaîne. En téléconférence, hier, Stephen Wetmore a donné l'exemple très pertinent de parents qui achètent la première, la deuxième et peut-être même la troisième bicyclette de leur enfant chez Canadian Tire. Mais passé 18 ans, les jeunes devenus adultes magasinent leur vélo au Sports Experts du centre commercial ou dans une petite boutique spécialisée.

En additionnant les 534 magasins du Groupe Forzani aux plus de 500 magasins Canadian Tire qui offrent des articles de sport, ce regroupement obtient le meilleur pouvoir d'achat au pays. L'entreprise chiffre à 35 millions de dollars par année ces économies d'échelle. Canadian Tire pourra aussi élaguer son réseau de fournisseurs et regrouper ses initiatives marketing, dont ses programmes de fidélisation.

Canadian Tire sera donc mieux placée pour faire face à la concurrence étrangère, notamment des États-Unis. Alors que les consommateurs américains sont encore éprouvés par la récession, les détaillants regardent de plus en plus au nord de la frontière, là où se trouvent de gentils Canadiens dépensiers.

Les spécialistes du commerce de détail ont fait grand cas de l'arrivée de Target au pays, prévue en 2013. Si cette chaîne du Minnesota offre une section d'articles de sport qui n'est pas à négliger, elle ne représente toutefois pas la menace la plus sérieuse. Un détaillant spécialisé comme Dick's Sporting Goods, de la région de Pittsburgh, serait nettement plus inquiétant pour Canadian Tire et Forzani. L'arrivée de cette chaîne qui compte 448 magasins et 81 boutiques de golf spécialisées fait l'objet de rumeurs depuis quelque temps.

Pour Forzani, fondée en 1974 par le joueur de football canadien John Forzani, cette transaction est tout aussi profitable. À commencer par les actionnaires qui, depuis une dizaine d'années, ont vu leurs actions rebondir et retomber comme un ballon de basket sur le court de la Bourse.

Au Québec, Forzani est surtout connue par ses magasins Sports Experts. Mais ce n'est que l'une de la dizaine de bannières de ce détaillant de Calgary, Sport Chek étant la plus connue au Canada anglais. Et les magasins Sports Experts, administrés par des franchisés, sont les plus efficaces du groupe par leurs ventes au pied carré. Toutes les autres bannières de Forzani essaient de rattraper cette chaîne depuis des années.

Tout cela pour dire que les Québécois connaissent Forzani sous son meilleur jour. Mais l'entreprise n'est pas en aussi bonne posture qu'elle n'y paraît. Voilà plusieurs années que Forzani essaie de se restructurer, en élaguant ses nombreuses bannières, en offrant des marques plus recherchées, comme North Face ou Columbia, et en offrant des conseils plutôt que la pression de vendeurs rémunérés à la commission.

Avec cette offre d'achat, Forzani voit donc sa stratégie d'affaires plébiscitée. Mieux, avec cette transaction amicale, Forzani continuera à être administrée comme une filiale distincte, à l'exemple de Mark's Work Warehouse, ou L'Équipeur au Québec, un détaillant de vêtements que Canadian Tire a acquis en 2001 avec succès.

Forzani reste aussi de propriété canadienne. C'est significatif alors que de nombreux fonds d'investissement privés comme Bain Capital reprennent goût au commerce de détail, alléchés par les détaillants nord-américains qui ont survécu à la récession. Ainsi, Gymboree (vêtements pour enfants) et J.Crew (vêtements bon chic bon genre) ont récemment été privatisés.

Avant même ces développements récents, toutefois, Forzani était apparue sur l'écran radar de raiders américains. La firme Crescendo Partners, dirigée par Eric Ronsenfeld, a tenté sans succès il y a deux ans d'imposer deux de ses administrateurs au conseil de Forzani, jugeant que ce détaillant décevant n'était pas animé par un sentiment d'urgence. Et en 2007, Cerberus Capital Management aurait aussi rôdé autour de Forzani, rapportait le Globe&Mail à l'époque.

Non seulement Forzani reste canadienne, mais cette transaction fait de Canadian Tire un détaillant plus redoutable avec lequel tous ses concurrents, locaux comme étrangers, devront composer. Pour un pays qui déplore la perte de sièges sociaux, c'est un dénouement heureux. Et tellement Canadian!

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca