Le monde s'enrichit dans l'ensemble, mais l'écart entre riches et pauvres s'accroît sans cesse. Ce fossé a même atteint une ampleur alarmante, préviennent des experts.

Le boom économique des 20 dernières années a créé de grandes richesses, notamment dans les pays émergents comme la Chine.

Selon la firme américaine Bain&Company, le nombre de Chinois «riches» - ceux dont la fortune personnelle est d'au moins 1,5 millionCAN - a doublé depuis 3 ans, à 585 000 personnes.

Grand bien leur fasse, les très nantis (actif de plus de 15 millionsCAN) sont aussi plus nombreux, selon Bain, surtout dans les régions autour de Shanghai qui concentrent la richesse collective.

Ironiquement, ce tableau tout rose cache un problème qui inquiète de plus en plus les autorités chinoises: l'écart croissant entre riches et pauvres.

Craignant l'agitation sociale dans la foulée des soulèvements au Moyen-Orient, Pékin vient de hausser de 50% - à 3000 yuans par mois ou 450$CAN - le seuil de revenu à partir duquel les contribuables paient de l'impôt.

Cela permettra à 400 millions de personnes démunies (au lieu de 350 millions auparavant) d'éviter l'emprise du fisc et, donc, de garder un peu plus d'argent dans leurs poches.

L'État chinois s'attaque aussi aux publicités bling-bling, devenues trop aguichantes à son goût. On vient d'enjoindre aux annonceurs de cesser la «promotion de l'hédonisme» dans la capitale; les mots «luxe», «classe» ou «royal» sont désormais interdits dans les publicités, question de ne pas irriter les démunis.

États-Unis, France...

Or, la Chine n'est pas seule. Le fossé riches-pauvres se creuse aussi dans les pays occidentaux, pourtant rompus aux mesures sociales visant à niveler les écarts de revenus.

Aux États-Unis, les 10% les plus riches ont accaparé près des deux tiers (63%) de la richesse produite par l'économie américaine depuis 1979, selon l'Economic Policy Institute.

Résultat: les 12 000 familles les plus aisées touchent chaque année autant d'argent que les 24 millions de ménages les plus pauvres, dénonce l'économiste militant Jeffrey Sachs dans un récent ouvrage.

En France, la classe «supérieure» se porte aussi très bien merci. Selon un nouveau rapport de l'institut national des statistiques (INSEE), les 10% des salariés les mieux rémunérés n'ont jamais autant gagné.

En 2008 (chiffres les plus récents), ceux-ci se partageaient 26,7% de la masse salariale nationale contre 25,4% en 1995, un gain de 1,3%.

Dans le même temps, les 10% des salariés les moins payés ont perçu 4,6% de la masse salariale contre 4,4% en 1995, un petit «plus» dû à l'aide accordée par l'État. Et les experts d'en conclureque «les inégalités se creusent par le haut», laissant la classe moyenne à la traîne.

L'Inde décevante

Un dernier exemple: en Inde, autre champion de la croissance mondiale, plusieurs régions attendent toujours les bienfaits de l'essor économique du pays.

Dans un reportage la semaine dernière, le Wall Street Journal raconte qu'aucun hôtpial, route importante ou école n'a été construit dans plusieurs régions pauvres, et ce, malgré un plan ambitieux datant de 2006 pour restaurer les infrastructures.

On se demande d'ailleurs où est allé l'argent du programme (9 milliards US), la corruption étant probablement responsable de ce fiasco, selon des sources gouvernementales.

Depuis 10 ans, l'économie indienne croît d'environ 8% par année en moyenne. Pourtant, l'Inde est, avec la Chine et l'Afrique du Sud, l'un des trois pays émergents où «la concentration des revenus entre les mains des plus aisés s'est accrue», déplore l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) dans un rapport publié la semaine dernière.

Urgent

Dans ce contexte, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale lancent un cri d'alarme: «Il faut des politiques pour réduire les inégalités», clame le président du FMI, Dominique Strauss-Kahn.

Ces deux organismes sont allés au plus simple en demandant au G20, qui s'est réuni à Washington le mois dernier, de se concentrer sur deux choses: nourrir le monde et créer des emplois.

La hausse des prix des aliments, dont on parle beaucoup ces temps-ci, a plongé 44 millions de personnes dans la «pauvreté extrême» (revenu personnel de 1,25$US par jour).

Et le temps presse. Car une nouvelle augmentation de 10% des prix en condamnera encore 10 millions à l'indigence, prévient la Banque mondiale.

Mieux répartir la richesse. C'est devenu, en très peu de temps, l'un des défis les plus urgents de la planète, selon des experts. Sinon, on risque «une guerre des classes» comme celle qui se profile aux États-Unis, prévient Jeffrey Sachs.