Difficile d'imaginer pire publicité pour un lancement de produit! À la radio, à la télé et à la une de sites internet, hier, les manchettes des médias québécois étaient des variations sur ce thème: personne ne se rue pour acheter un PlayBook de Research in Motion (T.RIM).

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Alors que les images de clients faisant la queue dans le froid pour mettre la main sur la version deux de l'iPad sont encore fraîches en mémoire, c'est un constat dévastateur. Les grands détaillants n'ont vraiment pas rendu service à RIM en ouvrant leurs portes plus tôt!

Mais il y a pire que de se faire remarquer pour la mauvaise raison. Le comble, c'est de passer inaperçu. Sur la page d'accueil du Wall Street Journal, le grand journal des gens d'affaires, la clientèle la plus fidèle aux BlackBerry de RIM, aucune image du PlayBook n'était visible hier. En revanche, la poursuite que le géant Apple intente contre Samsung, pour avoir soi-disant repris le design de l'iPad pour sa tablette Galaxy, figurait parmi les nouvelles les plus lues.

RIM est à côté de la plaque ces jours-ci. Auparavant réglées au quart de tour, ses conférences de presse semblent improvisées. Et ses dirigeants s'impatientent. Le cochef de la direction Mike Lazaridis a abruptement mis fin à une entrevue avec la BBC mercredi dernier après qu'une journaliste eut tenté de faire le point sur le bras de fer entre RIM et plusieurs gouvernements au sujet de la confidentialité des courriels.

Il est tout à fait compréhensible que RIM ait les nerfs à fleur de peau. Cette entreprise de Waterloo fait actuellement face à une pression inimaginable. Après avoir créé de toutes pièces le marché des téléphones intelligents, cette société voit son leadership s'éroder. Au point où certains s'interrogent sur son avenir.

En 2010, RIM a vu sa part du marché mondial des téléphones intelligents chuter à 16%, alors qu'elle s'établissait à 19,9% un an plus tôt, selon les consultants Gartner, qui comptabilisent les unités vendues en fonction de leur système d'exploitation. Aussi, même si ses ventes progressent toujours, cette entreprise ontarienne est incapable de maintenir ses parts de marchés.

Non seulement RIM s'est fait devancer par Google (sa part a bondi de 3,9% à 22,7% en un an!), mais cette entreprise ontarienne a maintenant Apple sur les talons (part de 15,7% en 2010).

Dans ce contexte, RIM doit impérativement prouver qu'elle n'est pas la chanteuse d'un seul tube. Pour y arriver, cette entreprise doit se servir de son succès dans les téléphones intelligents comme d'un tremplin dans le marché ultraconcurrentiel des tablettes.

Passer de pionnière à retardataire impose toutefois des choix difficiles sur le positionnement de son appareil. RIM a développé son PlayBook à toute vitesse au cours de la dernière année, pour rattraper Apple et arriver sur le marché avant la prochaine vague de tablettes. Mais ce développement en accéléré a coûté cher à l'entreprise, ce qui a déplu à des investisseurs, qui ont largué cette ancienne darling de la Bourse.

Le PlayBook, que j'ai brièvement manipulé hier, est intéressant de par sa taille plus petite (écran de 7 pouces). Il se tient facilement d'une seule main, contrairement à l'iPad, qui est encombrant dans les déplacements. Surtout, il permet de faire rouler plusieurs applications en même temps. Et lorsqu'aucun accès Wi-Fi n'est disponible, l'appareil permet de vampiriser l'accès internet de son BlackBerry. Ainsi, les utilisateurs n'ont qu'une seule facture pour le téléchargement de leurs données.

Mais mon opinion de «technotwit» ne pèse pas lourd, comparativement aux avis des cracks de la presse spécialisée. Et s'ils ont reconnu certaines qualités dans cet appareil (nouveau système d'exploitation; résolution fine; relation avec Adobe, qui permet aux utilisateurs de visionner les vidéos conçues avec Flash), ils n'ont pas été tendres l'endroit du PlayBook de RIM.

Fonctions de base absentes sans la synchronisation au BlackBerry (courriels, contacts, calendrier), petit nombre d'applications (3000 conçues spécifiquement pour le PlayBook contre 65 000 réservés à l'iPad), absence de connexion 3G/4G, etc. En une phrase, ils ne voient pas dans le Playbook une solution de rechange crédible à l'iPad 2 d'Apple.

RIM a expliqué que ces lacunes seront corrigées dans la prochaine version qui pourrait sortir dès l'été prochain. Mais pourquoi acheter tout de suite cet appareil qui ressemble à un gâteau à moitié cuit? Surtout que, dans une stratégie pour le moins discutable, RIM offre son PlayBook au même prix que la version revue et améliorée de l'iPad!

L'autre chose qui confond, c'est le nom de l'appareil. Ce n'est pas un détail. Pour RIM, sa meilleure chance de percer le marché des tablettes est de bâtir sur sa clientèle d'utilisateurs d'affaires. Et pourtant le nom ludique de l'appareil porte à confusion, d'autant que le PlayBook offre relativement peu de jeux pour les consommateurs. Pour pallier cette lacune, RIM s'est d'ailleurs associée à Electronic Arts, entre autres.

Les entreprises et les administrateurs de réseaux seront sans doute intéressés par la sécurité du PlayBook, la marque de commerce de Research in Motion. Mais ce n'est pas ce qui séduira les utilisateurs. Or ce sont eux qui, ultimement, font d'un nouveau bidule techno un succès ou un bide.

Espérons que Research in Motion arrivera rapidement avec une deuxième version plus achevée de son PlayBook. Depuis la mort de Nortel, c'est la techno phare du pays, qui nourrit tout un écosystème de PME et de laboratoires dans la région de Waterloo. La Canada n'a pas les moyens de la perdre.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca