Les États-Unis ne sont pas si différents d'un alcoolique en déni. Accros à la dette, cette bouteille sans fond, ils continuent de prétendre, à la face du monde, qu'ils maîtrisent leurs finances publiques. Alors que les Américains se sont collectivement montrés incapables, jusqu'à maintenant, de prendre les décisions difficiles qui s'imposent.

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La Maison-Blanche a été vexée au plus haut point, hier, par les dernières perspectives de l'agence de notation de crédit Standard&Poor's (S&P). En raison de la diversification et de la résilience de son économie, le pays conserve sa cote AAA, la meilleure note qui soit. Les pays ainsi cotés sont considérés comme étant les moins susceptibles de se défiler de leurs obligations financières.

Mais S&P a aussi accolé à cette note une perspective négative. Cette agence de notation craint que le Congrès et le président n'arriveront pas à s'entendre rapidement sur une stratégie pour mater le déficit. Qui plus est, les élections présidentielles de 2012 brouilleront vraisemblablement les cartes. Si les États-Unis ne s'attaquent pas au déficit d'ici 2013, S&P pourrait dévaluer les États-Unis, une perspective que l'analyste Nikola Swann estime à une chance sur trois.

Or, la cote des États-Unis n'a jamais été abaissée depuis que les agences de notation de crédit ont commencé à surveiller ses finances publiques en 1917, note Douglas Porter, économiste en chef de la firme Marché des capitaux BMO.

Si elle a déplu aux marchés boursiers, cette annonce de S&P ne représente pas une grosse surprise. Cela fait quelques mois que cette agence envoie des signaux pour préparer le terrain. Et même si les États-Unis devaient être décotés, ce n'est pas la fin du monde, non plus. Après avoir pris le taureau par les cornes, le Canada s'est parfaitement remis de ses décotes des années 90, même si le retour dans les bonnes grâces n'a pas été une partie de plaisir.

Mais, au lieu d'admettre que les États-Unis ont un problème, la Maison-Blanche s'en est prise hier au messager. Une cible d'autant plus facile que Standard&Poor's n'a pas une feuille de route parfaite. Jusqu'à la toute fin, ou presque, cette agence jugeait qu'Enron et que Lehman Brothers étaient des sociétés solides, a ironisé hier Dean Baker, cofondateur du Center for Economic&Policy Research, de Washington.

Premier conseiller économique du président Barack Obama, Austan Goolsbee a cherché à discréditer les perspectives négatives de S&P comme étant un «jugement politique». Jugement auquel il ne faudrait «pas trop accorder de poids», cette agence étant à toutes fins utiles dans l'erreur.

Austan Goolsbee croit qu'un accord entre les républicains et les démocrates est possible dans la mesure où les deux formations politiques s'entendent «presque» sur la cible pour réduire (et non éliminer) les déficits. Il n'a pas tort.

Le plan présenté la semaine dernière par Barack Obama prévoit réduire de 4 billions US (ou 4000 milliards, si vous préférez) le déficit sur 12 ans. Avec ce plan, le président Obama répondait (sur le tard) à la proposition de Paul Ryan, ce républicain qui préside le comité budgétaire de la Chambre des représentants. Ce plan républicain prévoit lui de réduire le déficit de 4,4 billions US sur 10 ans.

Mais, là s'arrêtent les similitudes. Car les approches préconisées par les démocrates et les républicains ne sauraient être plus opposées. Par exemple, le président Obama veut hausser les impôts des Américains les plus nantis, éliminer des échappatoires fiscales et mieux contrôler les coûts de la santé en se servant, par exemple, du pouvoir d'achat du gouvernement pour l'acquisition de médicaments.

De son côté, le plan Ryan prévoit des coupes sombres dans le filet social aux États-Unis, dont les mailles sont pourtant déjà relâchées. Se servant du spectre de la dette, les républicains privatiseraient d'ici 2022 le programme Medicare, l'assurance santé universelle des Américains de 65 ans et plus. Les réductions de dépenses dans tous les secteurs, à l'exception notable de la Défense nationale, financeraient des baisses d'impôt que les républicains consentiraient aux entreprises et aux Américains les mieux nantis.

Toute l'activité économique suscitée par ces baisses d'impôt générerait une richesse qui permettrait de réduire le déficit, selon la théorie économique (fort contestée) sur laquelle les républicains s'appuient.

Dans le communiqué publié hier, l'agence S&P a bien pris soin de souligner qu'elle ne favorise ni l'une ni l'autre de ces approches. Ce qu'elle dit, c'est que, constatant à quel point ce débat est actuellement polarisé, elle doute que les élus américains réussissent à s'entendre avant 2013, dans le meilleur des scénarios. Ce n'est pas un jugement politique de la part de Standard&Poor's, c'est un constat d'une grande lucidité.

Quoi qu'ils en disent, les Américains se complaisent dans cette impasse budgétaire, qui leur permet de repousser à plus tard des décisions aussi difficiles qu'impopulaires. Encore heureux qu'ils profitent de la bienveillance des agences de notation de crédit à leur endroit. Elles n'ont pas été coulantes à l'endroit de plusieurs pays européens!

Confrontés à une possible décote, les Britanniques ont pris eux les grands moyens pour mater leur déficit. Dans son dernier budget d'une grande austérité, présenté en juin, le chancelier George Osborne a haussé la TVA, gelé les salaires des fonctionnaires, amputé de 25% les budgets des ministères, haussé la taxe sur les gains en capitaux, imposé plus lourdement les institutions financières, etc. Bref, tout le monde y a goûté dans l'espoir (encore incertain) de rétablir l'équilibre budgétaire d'ici 2015.

Pendant ce temps, les Américains s'engueulent. Sans jamais quitter le bar.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca