Les leaders étudiants semblent déterminés à virer le Québec à l'envers depuis que le ministre des Finances, Raymond Bachand, a annoncé une hausse des droits de scolarité dans son dernier budget. Et il n'a pas manqué de voix indignées pour emboîter le pas: c'est épouvantable, les étudiants n'auront plus les moyens d'aller à l'université, le gouvernement se tire dans le pied en restreignant l'accès à l'éducation supérieure, c'est un scandale, et beurrez-en épais.

Le problème, c'est qu'en y regardant de plus près, la bataille des étudiants est rétrograde et vise essentiellement à perpétuer une injustice. Les droits de scolarité au Québec sont, de loin, les plus bas au Canada. L'étudiant québécois doit s'attendre à payer 2000$ en droits de scolarité, deux fois moins que la moyenne canadienne. En Ontario, c'est 5000$.

Mais cette générosité a un prix.

Les deux principales sources de revenus des universités sont les subventions gouvernementales et les droits de scolarité. En moyenne, au Canada, ces deux postes représentent 86% des revenus des universités (le reste est fourni par des dons et des revenus divers).

Or, sur ce point, le Québec ressort vraiment comme une société distincte. Le gouvernement québécois fournit 70% du budget des universités, et les étudiants, 16%. En Ontario, les proportions semblables sont 49% et 35%. Dans l'ensemble du Canada, 57% et 29%. Évidemment, les subventions du gouvernement sont financées par les impôts de l'ensemble des contribuables. À cet égard, il saute aux yeux que les contribuables québécois paient plus cher qu'ailleurs.

Or, ce sont surtout les familles à revenus élevés qui envoient leurs enfants à l'université.

Il y a quelques années, Statistique Canada a publié les résultats d'une enquête sur le sujet. Ses conclusions sont toujours valides aujourd'hui. Le document établit un lien direct entre les revenus des ménages et la fréquentation universitaire. Ainsi, seulement 19% des ménages à faibles revenus épargnent en vue de financer les études supérieures de leurs enfants; cette proportion grimpe constamment avec les revenus, pour atteindre 63% chez ceux qui gagnent plus de 80 000$.

Cela ne veut pas dire que les enfants issus de ménages à faibles revenus n'ont pas accès aux études supérieures: il existe déjà un généreux programme d'aide financière aux études. Le budget Bachand annonce d'ailleurs l'injection à terme de 118 millions de dollars additionnels par année à ce chapitre, mais cela, les leaders étudiants n'en parlent pas.

Dans ces conditions, le maintien des droits de scolarité à des niveaux extrêmement bas constitue en réalité un transfert de l'ensemble des contribuables en faveur des ménages les mieux nantis, qui sont les premiers à profiter de l'université. Ce n'est pas une forme particulièrement progressiste de redistribution de la richesse!

Certes, si le faible niveau des droits de scolarité pouvait encourager la fréquentation universitaire, doter le Québec de nombreux diplômés, on pourrait en conclure avec raison que c'est un investissement dans l'avenir. Ce n'est même pas le cas. Au Québec, malgré des droits de scolarité sensationnels, le taux de scolarisation universitaire est de 16,5%, loin derrière l'Ontario (20,5%). La moyenne canadienne est de 18,1%.

De plus, toutes les études (et elles sont nombreuses) traitant de la situation des diplômés sur le marché du travail en arrivent aux mêmes conclusions. Les diplômés sont beaucoup moins touchés par le chômage, ils ont des emplois de meilleure qualité, ils font beaucoup plus d'argent. Selon une étude du ministère de l'Éducation, le diplômé universitaire, pendant sa vie active sur le marché du travail, gagnera en moyenne 640 000$ de plus que le diplômé du collégial, et 900 000$ de plus que le diplômé du secondaire. Et le marché du travail obéit à une tendance lourde qui ne peut que s'accentuer: entre 1990 et 2007, la variation de l'emploi pour les diplômés universitaires affiche une hausse de 109%, comparativement à 71% chez les diplômés du collégial, et un recul de 1% chez les diplômés du secondaire.

Le plus ironique, c'est que le budget Bachand est loin d'égorger les étudiants. La hausse sera de 325$ par année (moins d'un dollar par jour) pendant quatre ans. Au bout de ce délai, les frais de scolarité québécois atteindront le même niveau qu'en 1968, en tenant compte de l'inflation. Ce n'est même pas une augmentation, c'est du simple rattrapage. En dépit des hurlements de certains leaders étudiants, on ne peut certainement pas accuser le ministre d'exagérer.