Il y a de ces expressions qui sont si politiquement chargées que le gouvernement Charest ne pourrait les formuler sans qu'un camion de 18 roues ne passe sur son orgueil. Commission d'enquête sur la construction en est une. Moratoire sur l'exploration du gaz de schiste en est une autre.

Le ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, Pierre Arcand, s'est donc bien gardé d'imposer un moratoire hier. Mais en appuyant les recommandations du Bureau d'audiences publiques en environnement (BAPE), il vient pratiquement de fermer le robinet de l'industrie.

Tant qu'une évaluation environnementale exhaustive de cette activité n'aura pas été effectuée, ce qui prendra deux ou trois années, il ne pourra y avoir de forage gazier ou de fracturation hydraulique, si ce n'est qu'à des fins scientifiques. Et encore, les voisins auront leur mot à dire!

Le gouvernement arrive donc là où la prudence la plus élémentaire lui aurait dicté de commencer. Avant d'actionner le pistolet du starter, il faut s'assurer que l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste soient sans danger. Surtout pour les nappes d'eau phréatiques.

Arrachée au terme d'une contestation tous azimuts, cette pause représente néanmoins une excellente nouvelle. Même pour ceux qui rêvent de voir une nouvelle industrie s'établir ici, ce qui créerait de 5000 à 19 000 emplois, selon des estimations que le BAPE qualifie de prudentes.

Le gouvernement peut mettre à profit ces deux années pour revoir sa façon de céder ses ressources à des sociétés minières et à des producteurs énergétiques. Pour l'instant, elle brade son patrimoine.

Il n'y a pas le feu. Hier, le gaz naturel se négociait à moins de 4$US par million de BTU, à la Bourse New York Mercantile Exchange (contrats d'avril et de mai). Un prix casse-gueule, notait récemment le numéro deux du géant gazier russe Gazprom, Alexandre Medvedev. Il faudrait au moins 6$US à 8$US par million de BTU, a-t-il dit, pour que cette industrie à la mode n'implose pas comme les technos l'ont fait au tournant des années 2000.

Entre-temps, le gaz ne s'échappera pas, si tant est que les réserves existent bel et bien au Québec.

Toutes les activités économiques dérangent, à des degrés divers. Pour que les Québécois consentent à extraire le gaz qui se trouve à une proximité dérangeante de leur maison, il faut minimalement qu'ils y trouvent leur compte.

Pour l'instant, ce n'est pas le cas. Le Québec a regardé le train passer avec les permis d'exploration gazière. Là où la Colombie-Britannique empoche 750 millions de dollars par année depuis 10 ans grâce à la vente aux enchères de ses permis de prospection, le Québec se contente d'une poignée de millions en loyers. Navrant.

Cela n'empêche pas les entreprises d'investir en Colombie-Britannique. Hier encore, la société sud-africaine Sasol a allongé 1,05 milliard pour racheter une participation de 50% dans un projet de gaz de schiste de Talisman dans le nord-est de la Colombie-Britannique.

Or, il sera difficile, voire impossible, de revenir en arrière, si ce n'est en contrôlant la revente des permis d'exploration. Les territoires québécois avec le plus grand potentiel sont déjà visés par des permis d'exploration assortis d'une exclusivité sur l'exploitation de 20 ans.

En revanche, le Québec peut se reprendre avec les redevances. C'est le constat des pays riches en ressources comme l'Australie et le Chili. Ils ont compris que ce sont les entreprises qui ont besoin de ces ressources non renouvelables, et non pas l'inverse.

Ainsi, les Australiens imposeront, à partir de 2012, une surtaxe de 30% sur les profits miniers. (Cette surtaxe, qui s'additionne aux impôts des sociétés, s'élevait à 40% à l'origine, mais l'industrie s'est rebiffée, ce qui explique en partie le putsch au sein des travaillistes, qui ont remplacé Kevin Rudd par Julia Gillard comme premier ministre.)

En comparaison, la hausse des droits miniers attendue au Québec, qui passeront de 12% à 16% des profits, paraît timide!

Les droits miniers pourraient être modulés, de façon à rapporter plus au Québec lorsque les cours des ressources premières s'emballent, comme c'est le cas actuellement en raison de l'appétit insatiable de la Chine. Et puis, une partie de ces sommes pourrait être retournée dans les régions touchées par l'exploration et l'exploitation, comme le propose la Fédération québécoise des municipalités.

Les puits de gaz de schiste seraient déjà moins désagréables à voir.

sophie.cousineau@lapresse.ca