Le ministre québécois des Finances, Raymond Bachand, a pris tout le monde par surprise, hier, en annonçant qu'il déposera son budget le 17 mars.

À Ottawa, le ministre Jim Flaherty a déjà retenu la date du 22 mars.

Il y a dans ces deux dates quelque chose d'exceptionnel. J'ai commencé à couvrir les budgets quand j'étais jeune journaliste au Droit d'Ottawa, au début des années 70. C'était Edgar Benson qui était ministre des Finances à Ottawa, et Raymond Garneau à Québec. Le budget de M. Bachand, dans deux semaines, sera mon 67e! Or, pendant toutes ces années, je n'ai jamais vu Québec déposer son budget avant Ottawa.

Si le Québec, comme la plupart des provinces d'ailleurs, attend le dépôt du budget fédéral, c'est pour une raison assez simple. Il peut toujours y avoir des surprises dans les documents budgétaires, et il est plus facile pour les ministres provinciaux des Finances d'ajuster, d'harmoniser ou de modifier leurs budgets quand ils connaissent clairement les intentions du fédéral.

Dans l'histoire récente, nous en avons eu un splendide exemple en 1999. Le ministre québécois Bernard Landry se démenait alors comme un beau diable pour atteindre l'objectif du déficit zéro en 2000. Or, en 1998, la croissance économique en Ontario a été beaucoup plus forte que les prévisions. Lorsque le ministre fédéral Paul Martin dépose son budget de 1999, il annonce qu'en conséquence, les paiements de péréquation sont revus à la hausse. M. Landry est en train de préparer son propre budget quand il apprend qu'il recevra ainsi en péréquation 1,4 milliard de plus qu'attendu. Il se sert de cette manne providentielle pour éliminer le déficit un an avant l'échéance.

Si les ministres provinciaux ont de bonnes raisons d'attendre le dépôt du budget à Ottawa, rien, ni dans la loi ni même dans la tradition, ne les y oblige. Cette année, par exemple, la Colombie-Britannique a déposé son budget dès les 15 février. L'Alberta, la semaine suivante.

Pour justifier sa décision, M. Bachand rappelle que son homologue Flaherty déposera son budget dans un contexte hautement instable. Les budgets comportent, par définition, un volet financier et un volet politique. Cette année, à Ottawa, le volet politique domine complètement la situation. Il est possible que le gouvernement Harper ne survive pas à ce budget. Libéraux et bloquistes ont déjà annoncé leur intention de voter contre. Il est possible que les conservateurs fassent adopter leur budget grâce à l'appui des néo-démocrates, mais ce n'est pas certain.

Il reste encore 17 jours avant le 22 mars et, comme vous le confirmeront tous mes collègues chroniqueurs politiques, 17 jours, c'est une éternité en politique. Quoi qu'il en soit, on peut être certains que le dépôt du budget sera suivi de turbulences préélectorales d'une rare intensité, peut-être même d'élections générales, et le ministre québécois veut éviter de déposer son budget dans un environnement aussi volatil. C'est une explication qui tient la route.

Mais est-ce que cela peut compromettre la réclamation du Québec dans le dossier crucial de l'harmonisation de la taxe de vente? Je sais, chers lecteurs, l'affaire apparaît assez rébarbative, mais les sommes en cause sont énormes. Surtout, le Québec risque d'être victime d'une profonde injustice.

Quand Ottawa introduit sa TPS, en 1990, il le fait assez maladroitement, sans consulter les provinces qui imposent toutes (sauf l'Alberta) leur propre taxe de vente. On s'aperçoit vite que le nouveau système est assez difficile à gérer, et Ottawa demande aux provinces de trouver un moyen d'harmoniser les deux taxes. Le Québec, avec le ministre Gérard-D. Levesque, est le premier à répondre à l'appel. Il faut ensuite attendre six ans pour que trois provinces maritimes se décident à emboîter le pas, mais Ottawa achète littéralement leur accord en leur versant 961 millions en compensation. Et 20 ans après l'introduction de la TPS, la Colombie-Britannique et l'Ontario sont prêts à harmoniser leur taxe avec Ottawa, moyennant compensation comme de raison.

Le Québec, lui, n'a jamais rien reçu. Selon le ministère québécois des Finances, si on calcule le montant de la compensation de la même façon que dans les autres provinces, le Québec devrait recevoir 2,2 milliards.

M. Flaherty, à l'instar de tous ses prédécesseurs, a toujours refusé de payer. C'est d'ailleurs précisément pour cette raison que le Bloc québécois s'apprête à voter contre le prochain budget. Mais si jamais le ministre change d'idée, le Bloc n'aurait pas vraiment d'autre choix que d'appuyer le budget, assurant ainsi la survie des conservateurs. Tout cela n'est qu'hypothèses et suppositions, bien sûr, mais dans la situation politique bancale qui prévaut à Ottawa, tout est possible.

Dans ces conditions, M. Bachand est-il imprudent en déposant son budget sans même savoir s'il peut compter sur une compensation? La réponse est non, pour la bonne raison que son budget ne tiendra pas compte de ce dossier. Si jamais M. Flaherty aborde la question dans son budget, rien n'empêchera le Québec d'ajuster ses chiffres en cours d'exercice.