Les turbulences qui secouent le monde arabe fournissent une bonne occasion de rappeler que, sur le plan économique, il n'y a rien de plus hétéroclite que ce «monde arabe».

Uni par une même langue, bien qu'il existe de fortes variantes d'un endroit à l'autre, et très majoritairement par une même religion (il existe une forte minorité chrétienne au Liban, et d'autres de quelque importance en Égypte, en Syrie et en Irak, mais plus de 95% des Arabes sont musulmans), le monde arabe est fortement morcelé sur le plan politique.

Selon les définitions, il existe plus ou moins une vingtaine de pays arabes. La Ligue arabe compte 22 membres, mais certains d'entre eux peuvent difficilement être qualifiés d'«arabes»; tel est le cas du Soudan, où les Arabes ne forment que 39% de la population, même s'ils contrôlent la vie politique et économique du pays.

Une récente définition proposée par The Economist Intelligence Unit comprend l'Algérie, l'Arabie Saoudite, le Bahreïn, l'Égypte, les Émirats arabes unis, l'Irak, la Jordanie, le Koweït, le Liban, la Libye, le Maroc, la Mauritanie, Oman, le Qatar, la Syrie, la Tunisie et le Yémen; à cette liste, il conviendrait d'ajouter l'administration palestinienne (Gaza et Cisjordanie). Voilà, assez bien défini, l'essentiel du monde arabe.

C'est un territoire immense, un peu plus grand que le Canada. Et comme le Canada, c'est un territoire largement inhabité. Les pays les plus étendus, comme l'Algérie, la Libye, l'Arabie Saoudite, la Mauritanie, l'Égypte, sont presque entièrement occupés par le désert. Sur ces territoires vivent 293 millions de personnes, presque autant que la population américaine.

Si le monde arabe était un seul pays, il afficherait aux taux de change courants un produit intérieur brut (PIB) de 1833 milliards de dollars, un peu plus que le Canada, un peu moins que le Brésil (1). Ce serait donc, potentiellement, une puissance économique importante. La locomotive du groupe est l'Arabie Saoudite, avec un PIB de 434 milliards.

Dans l'ensemble du monde arabe, le PIB par habitant s'élève à 6200$, mais il n'y a rien de plus trompeur que ce chiffre.

Sur le plan économique, le monde arabe est divisé en deux : les pays qui ont du pétrole et ceux qui n'en ont pas. Cette situation crée des inégalités vertigineuses. Au sommet de l'échelle, quatre pays producteurs (Qatar, Émirats, Koweït et Bahreïn) ne comptent que pour 3% de la population du monde arabe, mais comptent pour 28 % de la richesse.

Le Qatar, micro pays de 840 000 habitants sur un territoire qui fait la moitié du Témiscamingue, est au 2e rang des pays les plus riches du monde (après le Luxembourg). Grâce à la hausse des prix pétroliers, il a connu l'an dernier l'expansion économique la plus forte de la planète : presque 20%, ce qui contribué à propulser le PIB par habitant à 151 000$. Assez loin derrière arrivent les Émirats arabes avec 48 000$, le même niveau que les États-Unis.

Mais là aussi, les chiffres ne sont qu'illusions, parce que la richesse est très inégalement répartie. Ainsi, aux Émirats, un pays de cinq millions d'habitants, seulement un million de résidants ont leur citoyenneté. Ce sont eux qui se partagent l'essentiel de la richesse. Les autres, quelque 80% de la population, sont des travailleurs venant des pays arabes pauvres ou d'autres pays musulmans non arabes (Pakistan, Iran). Quant au Qatar, il a beau crouler sous les pétrodollars, il n'en compte pas moins 11% d'analphabètes.

À l'autre bout de l'échelle se trouve un groupe de pays qui comptent parmi les plus pauvres du monde : en Palestine, le PIB par habitant n'atteint que 1900$ ; au Yémen, 1300$ ; en Mauritanie, 1100$.

Des pays fortement peuplés, mais dépourvus de pétrole, comme l'Égypte et le Maroc, atteignent à peine les 3000$. En fait, les sept pays les plus pauvres comptent pour 66% de la population du monde arabe, mais ne représentent que 27% de la richesse.

Devant ces écarts, on peut se demander s'il existe quelque semblant de solidarité à l'intérieur du monde arabe. Pourquoi les plus riches n'aident-ils pas les plus pauvres? En fait, ils le font. Il n'existe pas de système de péréquation comme tel, mais les pays riches ont mis sur pied des mécanismes d'aide directe ou financent des investissements dans les infrastructures, les écoles et les hôpitaux. Mais cette aide, le moins que l'on puisse dire, n'est pas particulièrement généreuse. Tous ces transferts apparaissent dans les comptes nationaux des pays concernés. Ainsi, quand on dit que le PIB par habitant atteint 1300 $ au Yémen, ce montant tient compte de l'aide des autres pays arabes.

(1) Il existe de nombreuses sources, pas toujours concordantes, sur les comptes nationaux des pays : Banque mondiale, Fonds monétaire international, Organisation de coopération et de développement économique, Nations unies, organismes spécialisés. Cette chronique utilise les chiffres du CIA World Factbook. Tous les montants sont exprimés en dollars américains.