Littératie. Quel affreux mot que celui-là! Un mot manifestement créé par des bureaucrates, qui écorche les oreilles, qui se prononce mal, que les correcteurs d'orthographe automatiques ne reconnaissent pas, qui se manipule difficilement.

Littératie. Quel affreux mot que celui-là! Un mot manifestement créé par des bureaucrates, qui écorche les oreilles, qui se prononce mal, que les correcteurs d'orthographe automatiques ne reconnaissent pas, qui se manipule difficilement.

Cette mise en garde n'est pas une digression. Mais un constat. Le mot même est un repoussoir et un frein aux débats que l'on veut amorcer en son nom. Et c'est le premier obstacle que devra affronter le Groupe de travail sur la littératie financière, dont le rapport, Les Canadiens et leur argent, a été remis la semaine dernière au ministre canadien des Finances, Jim Flaherty.

Et pourtant, les carences en littératie financière, que l'on pourrait aussi décrire comme de l'analphabétisme financier, constituent un vrai problème qui est en train de nous sauter à la figure. On le voit au progrès de l'endettement, on le voit aussi à l'impréparation à la retraite qui, au Québec, a récemment été mise en relief par l'étude de Claude Castonguay.  

Ça ne pourra qu'empirer avec le vieillissement de la population qui exacerbe les problèmes liés à la retraite et avec la complexification du monde économique. Les produits financiers sont infiniment plus difficiles à comprendre, les réalités économiques plus difficiles à prévoir, et les variables avec lesquelles doivent jongler les citoyens plus nombreuses.

Cette complexification est de même nature que celle que l'on met en relief dans les débats sur la littératie tout court, la maîtrise de la lecture et de l'écriture, ou de la numératie, celle des chiffres. Le niveau de connaissances et d'aptitudes nécessaires pour fonctionner dans le monde où nous vivons est de plus en plus élevé. Et ceci explique cela. Si la moitié des Canadiens ont du mal à manipuler les chiffres et 40% ont des problèmes de lecture, on peut comprendre qu'au départ, ils auront du mal à maîtriser les questions financières.

Quelles sont les conséquences? Le groupe de travail, dont le président était le chef de la direction de la Financière Sun Life, Donald A. Stewart, et le vice-président, Jacques Ménard, le patron de BMO Nesbitt Burns, définit la littératie financière comme «le fait de disposer de connaissances, de compétences et de confiance en soi nécessaires pour prendre des décisions financières responsables».

L'indice de littératie qu'ils ont utilisé comportait cinq éléments - l'aptitude à joindre les deux bouts, à tenir des comptes, à choisir des produits financiers, à prévoir pour l'avenir, à s'informer. Les lacunes en ce domaine ont des coûts, pour les individus eux-mêmes, pour la stabilité financière en général, pour la justice sociale, parce que ce sont souvent les gens au départ les plus vulnérables qui partent de plus loin.

Il me semble toutefois que le terme de littératie n'est pas approprié, parce que si les lacunes que l'on déplore s'expliquent en partie par un déficit de connaissances et de compétences, elles tiennent bien davantage à des attitudes, à des valeurs, à une culture de l'argent. On a besoin de formation, mais encore plus de conscientisation.

La stratégie nationale proposée par ce Groupe de travail ressemble d'ailleurs moins à un plan d'action qu'à un effort concerté pour instaurer un état d'esprit. Ses 30 recommandations reposent sur une logique d'intervention à toutes les étapes de la vie des citoyens, beaucoup à l'école, mais aussi en milieu de travail, à l'occasion des contacts des citoyens avec l'État, dans les rapports avec les institutions financières à qui l'on demande un important virage.

En fait, cette stratégie pour rendre les citoyens mieux informés, plus autonomes, plus responsables et moins vulnérables, ressemble beaucoup aux campagnes de santé publique sur l'alimentation, l'exercice ou l'obésité. Mens sana in corpore sano

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