Pourquoi l'investisseur paierait-il la prime d'une assurance-placement pour se protéger contre la fraude d'un filou à l'emploi d'une institution financière avec qui il fait affaires?

Si tous les investisseurs ou presque sont en faveur du projet d'assurance-placement contre la fraude proposé la semaine dernière par un groupe d'experts financiers, peu d'entre eux accepteraient de bon gré de payer de leurs poches pour une telle protection de leur patrimoine. Rappelons que l'assurance-placement proposée couvrirait, dans un premier temps, les 150 milliards de dollars d'actifs que nous détenons dans la lucrative industrie des fonds communs de placement et des fonds distincts. Les revenus de cette assurance-placement permettraient de créer un fonds d'indemnisation des victimes de fraude financière, en plus de notifier (cote de risques) les institutions qui vendent et gèrent les placements. Si cette assurance-placement avait existé, les victimes de Norbourg se seraient fait dédommager rapidement, et ce, à 100%.

Qu'à cela ne tienne, si l'on se fie à la réaction à chaud des gens, le groupe d'experts se met un doigt dans l'oeil quand il suggère de refiler la quasi-totalité de la facture de ladite assurance-placement aux investisseurs.

La facture, disent-ils, devrait être payée par le milieu financier (émetteurs, gestionnaires de portefeuille, fiduciaires, conseillers, etc.) puisque la source de la fraude ne peut provenir que de son entourage. L'argument massue des épargnants: s'enrichissant à coup sûr avec la panoplie de frais et de commissions demandés aux investisseurs, il est normal que le milieu financier protège à ses frais ses clients.

C'est d'ailleurs en me basant sur cet argument que je me suis prononcé contre la proposition de faire payer aux épargnants le gros de la facture de cette assurance-placement contre la fraude. Je disais que cette facture devrait être assumée par les firmes financières et les conseillers.

Le porte-parole du groupe d'experts, Robert Pouliot, ne partage pas mon avis.

«Si l'industrie devait payer en majorité pour le fonds (de l'assurance-placement), elle réclamerait tout naturellement le droit de gouverner ce fonds. Après tout, no taxation without representation. Or, si l'industrie gouverne ce fonds, le fonds pourra-t-il noter ses membres sans conflit d'intérêts? Le fonds vise à neutraliser le conflit des agences de rating qui sont présentement rémunérées par l'émetteur (une seule agence américaine de crédit fait plutôt payer les abonnés à sa recherche avec, en effet, des notes plus sévères et souvent plus justes).»

Michel Mailloux, planificateur financier et membre du groupe d'experts, est lui aussi contre le fait de faire payer la facture de l'assurance-placement par l'industrie financière.

«Nous ne croyons pas qu'une industrie puisse donner les garanties suffisantes pour sa propre auto-évaluation, surtout en cas de malversation par un manufacturier (de fonds commun) ou un gestionnaire... Lorsque l'industrie assure une certaine partie des problèmes, comme c'est déjà le cas pour les banquiers ou les assureurs, elle aura tendance à limiter les sommes et, malheureusement, à faire preuve de peu de transparence.»

Si les institutions financières devaient payer une grosse partie de la facture d'une assurance-placement contre la fraude, M. Mailloux croit qu'elles refileraient ladite facture aux investisseurs en augmentant, tout simplement, leurs frais de gestion.

Pourquoi ne pas refiler la facture aux conseillers financiers? Parce qu'ils ont été financièrement échaudés par le scandale Norbourg, L'Autorité des marchés financiers (AMF) a augmenté leur cotisation annuelle pour renflouer ses coffres. Les conseillers ont servi, dit-il, de «boucs émissaires» à l'AMF alors que son équipe d'inspection a manqué de vigilance dans le dossier Norbourg.

Pourquoi faire payer la note par les investisseurs? «Tout simplement parce que c'est leur patrimoine qui est en jeu. On paie des assurances pour la maison, pour la voiture, pour le voyage à venir et on trouve cela normal. Pourquoi ce ne serait-ce pas le cas avec son propre patrimoine?» demande M. Mailloux.

Il ajoute: «Je paie 1000$ d'assurance pour une maison qui en vaut 250 000$, soit 40 centièmes de 1% annuellement. Je paie 60$ pour assurer un voyage de 3000$ soit 200 centièmes (ou 2,0%). J'acquitte une facture d'assurance de 800$ pour une voiture de 25 000$ soit 320 centièmes (3,2%)! On vous offre même d'assurer vos câbles d'ordinateur ou des meubles! On paie pour se protéger à l'égard d'éléments fortuits.»

Michel Mailloux ne comprend pas pourquoi on ne serait pas justifié de payer 3 centièmes de 1% pour assurer son patrimoine, ce qui représente une prime de 30$ par tranche de 100 000$ d'actifs. «Ceci représente 10 fois moins que pour la maison, 65 fois moins que pour les vacances ou 100 fois moins que pour la voiture? Autant de bénéfices pour voir son rendement passer, par exemple de 4,69% à 4,66%. Et vous parlez de presser le citron (des investisseurs)», me reproche-t-il.

Conclusion de M. Pouliot: «Il est préférable pour le public investisseur de mettre les deux mains sur le volant, quitte à payer une prime supplémentaire de quelques cents par 100$ pour s'assurer de la bonne qualité de la marchandise, sans perdre la moindre responsabilité.»

Le débat est ouvert!