Le verdict populaire est tombé. Les deux tiers des Québécois, a révélé notre sondage CROP, ont rejeté les conclusions du rapport Bastarache.

Cela s'explique par le fait qu'ils ne croiraient pas Jean Charest même s'il donnait des conseils de jardinage. Et parce qu'ils ont un faible pour des personnalités publiques comme Marc Bellemare, des héros populistes qui s'attaquent aux puissants de ce monde.

Mais leur incrédulité tient largement à l'hiatus énorme entre leurs propres perceptions et ce qu'ils ont compris des conclusions du commissaire. Ils sont convaincus, à juste titre, que le favoritisme politique existe, que les collecteurs de fonds en mènent large - ils les ont même vus devant les caméras lors des travaux de la commission. Et le juge Bastarache vient leur dire que tout va bien.

Les Québécois rejetteraient sans doute moins les conclusions du rapport s'ils l'avaient lu et bien compris. Et si le mandat confié au juge Bastarache par le premier ministre Charest n'avait pas été aussi étroit. Le résultat, c'est que le rapport ne répond pas aux questions que se posent les gens.

Le favoritisme existe pour les nominations, pour l'attribution de contrats. Il suffit de voir à quel point entrepreneurs, ingénieurs, architectes, avocats contribuent aux caisses de partis, dans l'espoir d'un retour d'ascenseur. Les audiences de la commission nous ont montré comment le collecteur Charles Rondeau discutait de nominations avec un membre du cabinet du premier ministre, Chantal Landry. Mais ces nominations ne portaient pas sur les juges et ne relevaient donc pas du mandat de la commission. D'où une première confusion.

La seconde confusion provient du fait que le premier volet du mandat de la commission, le plus visible, ne portait pas sur le favoritisme ordinaire, mais sur quelque chose de beaucoup plus grave, le «trafic d'influence», les «pressions colossales», le fait qu'un spécialiste de l'excavation puisse dicter ses choix à un ministre de la Justice. Ce sont ces allégations, celles de Marc Bellemare, que le juge Bastarache a rejetées.

Mais cela n'exclut pas que le favoritisme intervienne dans la nomination des juges. Nous savons que l'appartenance politique joue un rôle. Les juges sont nommés par des politiciens, dans un processus où existe un élément discrétionnaire. Un avocat péquiste a beaucoup plus de chances d'être nommé juge quand le PQ est au pouvoir. Même chose dans le cas des libéraux, peut-être plus avec le gouvernement Charest. Même chose à Ottawa.

Le juge Bastarache, dans le second volet de son mandat, s'attaque à cet enjeu, mais sur un mode si théorique qu'on bascule dans le non-dit et la langue de bois.

Mieux vaut aborder la chose franchement. On découvre alors que le critère de l'appartenance politique est loin d'être systématique. Que, dans bien des cas, il s'agit moins de récompenses partisanes que le reflet de l'existence de réseaux et d'affinités. Et surtout, qu'il existe maintenant des mécanismes de sélection. Les politiciens nomment les juges à partir d'une liste de candidats qui ont été évalués pour leur compétence. S'il y a favoritisme, il ne se fait pas au détriment de la qualité de la magistrature.

Faut-il changer de régime et retirer aux politiciens le pouvoir de nommer les juges, comme en Grande-Bretagne? Le rapport Bastarache écarte cette avenue. Parce qu'un processus indépendant mène à d'autres problèmes. Il propose plutôt de resserrer et de formaliser le processus de nomination pour en réduire l'arbitraire.

Pour la crédibilité du rapport, il aurait fallu appeler un chat un chat. Si M. Bastarache propose d'importants changements, c'est clairement pour dépolitiser encore plus le processus de nomination des juges, pour réduire la crise de confiance dont souffrent nos institutions. Pourquoi ne pas l'avoir dit franchement?