S'il est une chose qui caractérise l'économie mondiale en 2010, c'est bien l'«immense fracture» qui s'est installée entre les économies émergentes, qui continuent à carburer à toute allure, et les pays industrialisés, enlisés dans les difficultés de toutes sortes.

C'est ce que constate le Conference Board du Canada dans une étude publiée hier. L'organisme de recherche économique s'attend à une croissance de l'économie mondiale de 3,6% cette année et de 3,3% en 2011. Or, l'essentiel de cette croissance viendra des pays émergents, et particulièrement de la région Asie-Pacifique, qui fait maintenant figure de nouvelle locomotive de l'économie mondiale.

Qui dit économie émergente pense évidemment à la Chine. Avec raison: jamais, depuis 1998, la croissance de l'économie chinoise n'a été inférieure à 7% (avec une pointe de 11% en 2007), ce qui constitue déjà tout un exploit en soi. Et ce n'est pas parti pour s'arrêter en si bonne voie: le document prévoit une croissance de 10% en 2010 et 9% l'an prochain.

Avec la récession qui a frappé les pays riches, les exportateurs chinois se sont tournés vers les autres régions du monde, avec des résultats parfois surprenants. Ainsi, en 2010, la Chine a remplacé les États-Unis comme premier partenaire commercial du Brésil. Une telle chose, impensable il y a quelques années, représente tout un choc pour les États-Unis, qui ont toujours considéré l'Amérique latine comme leur premier débouché naturel.

Mais il n'y a pas que la Chine. Les cas de Singapour et de Taiwan sont particulièrement intéressants. De tous les pays de l'Est asiatique, ce sont les deux qui ont le plus souffert de la récession, en 2009. Mais les deux, grâce à l'explosion de leurs exportations, ont rebondi de façon spectaculaire cette année: croissance de près de 15% à Singapour, de 8% à Taiwan.

Et c'est sans compter l'Inde, qui affichera elle aussi une croissance de 9% cette année, et autant l'an prochain.

Pendant ce temps, le Japon, qui fut en d'autres temps le véritable moteur économique de la région, devra se contenter de 3% cette année et 1,7% l'an prochain.

Ce n'est pas tout. Il y a aussi l'Amérique latine. Certes, aucun pays de la région, même pas ce Brésil dont on parle tant, n'est capable d'égaler la performance des Chinois. En revanche, la plupart se sont remis remarquablement vite de la récession. Le Brésil et l'Argentine ont connu une croissance nulle en 2009, mais tous deux se sont magistralement rattrapés en 2010 avec respectivement 8% et 7% de croissance. On s'attend, dans les deux cas, à une expansion un peu moindre en 2011, mais quand même solide (entre 4 et 5%). Le Mexique, dont l'économie est intimement liée à celle des États-Unis, a subi toute une dégelée en 2009 avec un épouvantable recul de 6,5%. Avec une croissance de 4,5% cette année et 3,7% l'an prochain, il lui faudra près de deux ans pour effacer la catastrophe.

Le Conference Board rappelle que la région est encore aux prises avec des problèmes importants: faible productivité, inégalité des revenus, crime organisé et trafic de stupéfiants. En revanche, on peut aussi voir des signes encourageants: progrès de la démocratie, suppression des mesures protectionnistes et ouverture plus grande des marchés.

Pendant ce temps, les États-Unis devront se contenter d'une maigre croissance de 2% cette année et l'an prochain. Dans les pays de l'Union européenne, c'est encore pire.

Mais comment expliquer l'ampleur de la fracture?

C'est que les finances publiques des pays riches sont plus mal en point que celles des pays émergents. La récession n'a fait qu'accentuer le problème en poussant les administrations publiques à dépenser davantage afin de soutenir l'emploi. Maintenant que le pire est passé, le défi consiste à résorber les déficits et à réduire les dettes. Aucun pays ne veut se retrouver dans le même cul-de-sac social et financier que la Grèce.

Facile à dire, beaucoup plus difficile à faire, comme l'a justement démontré l'expérience grecque. Il faut donc s'attendre à des politiques budgétaires beaucoup plus sévères, ce qui aura pour effet de retarder la croissance.

L'étude ne parle pas spécifiquement du Canada, mais il est rassurant de penser qu'après avoir frôlé la catastrophe dans les années 90, il a réussi mieux que n'importe quel autre pays du G7 à assainir ses finances publiques bien avant la récession. C'est une des raisons qui lui ont permis de traverser la crise avec beaucoup moins de dommages que les États-Unis.