Aussi attendue qu'inattendue. La décision du ministre de l'Industrie, Tony Clement, sur le bien-fondé de la vente de PotashCorp au géant BHP Billiton a pris tout le monde les culottes baissées.

Cette décision est d'autant plus surprenante qu'avant même de l'annoncer, dans le foyer de la Chambre des communes, le ministre Clement a fait l'ode du Canada, cette «nation de commerçants, cette contrée du libre marché». Un peu plus et il sortait La richesse des nations d'Adam Smith de la poche de son veston.

Il aurait été dans l'ordre des choses que les conservateurs approuvent cette transaction, compte tenu du libre-échangisme qu'ils défendent avec entêtement. La seule autre transaction que le Canada ait récemment rejetée concernait l'achat du concepteur de satellites MacDonald, Dettwiler&Associates par des intérêts américains. Et ici, la sécurité nationale et la souveraineté du Canada dans l'Arctique étaient en jeu.

Une approbation de l'offre de BHP aurait été d'autant plus défendable que la sécurité alimentaire du Canada ne dépend pas de la potasse. Les sols de l'Ouest en sont si riches que les agriculteurs s'en passent.

La Saskatchewan aurait même pu changer la façon par laquelle elle calcule ses redevances ou accorde des déductions fiscales, pour minimiser la perte de milliards de dollars en revenus d'impôts appréhendée par le Conference Board du Canada.

Mais l'or rose devient explosif au contact de la politique. De la plus grande mainmise étrangère de l'histoire du pays, le ministre Clement a jugé qu'elle ne représentait «vraisemblablement pas un avantage net pour le Canada». Le mot clé est «vraisemblablement», puisqu'un jugement définitif ne sera pas rendu avant 30 jours.

Il peut se passer bien des choses pendant un mois. S'agit-il d'une opposition de principe ou d'une manoeuvre politique pour calmer le jeu dans l'Ouest, en attendant que BHP bonifie son offre? C'est la question de 39 milliards de dollars.

Personne n'ignore l'opposition féroce à cette transaction en Saskatchewan et maintenant en Alberta, deux fiefs conservateurs. Surtout pas le premier ministre Stephen Harper, qui pourrait affronter l'électorat dès le printemps.

Parle-t-on d'un noui ou d'un non de principe à la vente du plus grand producteur de potasse? On l'ignore: Tony Clement a refusé de justifier sa décision.

BHP Billiton peut faire mieux. Surtout que son PDG, Marius Kloppers, est sous pression après avoir loupé de grandes transactions. D'entrée, l'entreprise peut relever son offre de 130$US l'action, qui est chiche.

BHP peut s'engager à conserver le siège social de PotashCorp à Saskatoon. Ce géant minier peut garantir un plancher d'emplois au Canada. Ce sont deux promesses que l'entreprise australienne pourrait tenir ou pas, soit dit en passant. Ce même Tony Clement n'a-t-il pas fermé les yeux lorsque la société brésilienne Vale a arrêté pendant deux mois la production à son usine de nickel à Sudbury, ce qui contrevenait à un engagement pris lors de l'acquisition d'Inco?

Mais même si BHP offrait mer et monde, il y a des choses qui ne changent pas. En approuvant la vente de PotashCorp, Canada se départirait du contrôle d'une ressource rare et stratégique. La planète aura de 2 à 3 milliards de bouches de plus à nourrir d'ici 2050.

PotashCorp est - malheureusement - l'un des rares champions nationaux du Canada. Aucun autre pays n'a vendu autant de ses grandes entreprises à des intérêts étrangers entre 2000 et 2008. Avec les conséquences que l'on connaît sur les industries de services et les institutions culturelles qui gravitent autour des sièges sociaux. Le pays peut légitimement tracer une ligne dans le sable, comme les États-Unis et la France l'ont déjà fait, en d'autres occasions.

Ottawa ne doit pas laisser une décision aussi capitale entre les mains d'investisseurs et de spéculateurs dont les intérêts financiers à court terme ne coïncident pas avec les intérêts stratégiques du pays.

«Il y a des décisions qui ne peuvent être prises qu'une fois, sans qu'on ne puisse revenir en arrière», a noté hier Tony Clement.

Exactement, monsieur le ministre.

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