En 2010, la Chine deviendra officiellement le plus grand manufacturier du monde, selon une étude, délogeant les États-Unis qui trônent au sommet depuis 120 ans. L'avancée des pays émergents, sur le plan industriel, s'accélère... mais pour des raisons surprenantes.

Les Américains sont toujours les grands champions dans l'arène industrielle, ayant généré 19,9% de la production manufacturière de la planète en 2009, selon une nouvelle étude de la firme IHS Global Insight. Ils devancent toujours la Chine, au second rang, avec une part de 18,6%.

Or, la sévère récession qui a suivi la crise financière de 2008-2009 a accéléré le déclin manufacturier américain. Si bien que l'empire du Milieu surpassera, dès l'an prochain, son rival occidental sur le plan industriel, projette IHS.

Les passionnés d'histoire vous diront qu'on revient ainsi en arrière, à un ordre établi il y a très longtemps: en effet, la Chine a été le plus grand producteur de biens de la planète pendant environ 1500 ans, selon des économistes historiens, soit jusqu'au milieu du XIXe siècle.

C'est à ce moment que, dans la foulée de la révolution industrielle, l'Empire britannique lui a ravi le premier rang brièvement, avant que les Américains ne passent devant vers 1890.

Le nouveau changement de garde au sommet de la hiérarchie manufacturière n'est pas une surprise, diront certains. Dans la mesure où la Chine a une population quatre fois plus importante que celle des États-Unis et une main-d'oeuvre dix fois moins chère, il fallait bien que le balancier penche en faveur des Asiatiques tôt ou tard.

Cependant, les choses ne sont pas si simples: une autre enquête indique qu'une armée de travailleurs et des bas salaires ne sont pas les seuls motifs derrière la nouvelle révolution industrielle. En fait, le nerf de la guerre est désormais ailleurs.

Le savoir

C'est la main-d'oeuvre jeune et compétente que l'on trouve de plus en plus dans les pays émergents, notamment en Chine, en Inde ou au Brésil, qui importe le plus pour le monde des affaires.

Un nouveau rapport conjoint de la firme Deloitte et d'un lobby manufacturier américain prévoit qu'en raison surtout de sa main-d'oeuvre qualifiée, le Brésil va supplanter les États-Unis d'ici cinq ans sur le plan de la compétitivité.

D'autres nations en forte croissance, capables d'offrir des travailleurs bien formés, sont aussi promises à un bel avenir: sur le plan de la compétitivité, le Mexique dépassera d'ici 2015 le Japon, un autre leader manufacturier du G7 qui est en perte de vitesse, avance le rapport.

Deloitte et le Conseil américain de la compétitivité ont interrogé plus de 400 chefs d'entreprise partout dans le monde pour leur demander ce qui motive leurs choix stratégiques.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les répondants ne prennent pas leur décision uniquement sur la base des «chiffres». Une main-d'oeuvre qualifiée est désormais le facteur le plus important dans l'esprit des gens d'affaires.

Ce critère surpasse dorénavant les considérations strictement financières, comme les salaires ou le coût des matériaux et de l'énergie, souligne Deloitte dans son rapport Global Manufacturing Competitiveness Index.

«L'enjeu dominant (pour les gens d'affaires), c'est de pouvoir trouver la main-d'oeuvre compétente», affirme l'un des auteurs du rapport. Les pays émergents l'ont compris et ils dépensent beaucoup d'argent en formation et en éducation dans les domaines des sciences et des technologies, dit-il.

En ce sens, Deloitte est plutôt pessimiste pour l'Europe: les Pays-Bas, le Royaume-Uni et d'autres pays sont appelés à dégringoler au palmarès de la compétitivité d'ici 2015, alors que la Thaïlande, la Russie et l'Argentine gagneraient quelques rangs.

Au 13e rang d'un peloton de 26 pays, le Canada demeurerait au milieu du peloton, toujours selon l'enquête.

L'Europe est donc sur une pente inquiétante. Selon l'INSEE, l'institut français des statistiques, la part du secteur manufacturier dans la valeur ajoutée de l'Union européenne est passée de 20,5% à 17% entre 1995 et 2006. Une glissade dramatique en si peu de temps. Délocalisations d'usines, vieillissement de la main-d'oeuvre et perte de compétitivité, tout concourt au déclin industriel de l'Europe. On pourrait dire la même chose des États-Unis et de certains pays riches.

On a longtemps blâmé les salaires crève-la-faim dans les pays émergents pour les pertes d'emplois chez nous. Mais cette excuse ne tient plus. Le défi du monde industrialisé est d'attirer et de maintenir une main-d'oeuvre bien formée, affirme Deloitte. Mais le temps presse.