La crise européenne a confirmé le dollar américain dans son rôle de refuge. Même les Chinois et les Russes, qui voulaient larguer le billet vert l'an dernier, achètent des titres américains à un rythme record.

Le célèbre économiste John Maynard Keynes a déjà comparé l'investissement à un concours de beauté. En cette période de crise, les investisseurs doivent donc jeter leur dévolu sur la candidate la moins moche.

L'heureuse élue est - encore - la devise américaine, qui attire tous les regards. Même que les titres de dette de l'Oncle Sam font un retour en force dans les grands portefeuilles étrangers de la planète.

L'excédent des flux de capitaux, qui mesure l'entrée nette des fonds aux États-Unis, a atteint un record de 141 milliards US en mars, selon les dernières données officielles. Sans surprise les obligations du Trésor, considérées comme une valeur sûre en temps de crise, ont été la saveur du mois, avec des achats trois fois plus importants que le mois précédent. Et ça se poursuit, selon les dernières indications sur les marchés financiers.

Mais regardez qui achète: les Chinois (hors Hong-Kong), premiers détenteurs de la dette de l'État américain, ont été les plus grands acquéreurs de titres du Trésor. Ils en possédaient à la fin de mars pour 895 milliards US, soit près de 19 milliards US de plus qu'un mois plus tôt.

Les Japonais, eux, en ont acheté pour 16 milliards US, les pays membres de l'OPEP, 11 milliard US.... Même que les étrangers sont «acheteurs» d'actions américaines ("11 milliards US) et d'obligations d'entreprises ("16 milliards US).

Les Russes se ravisent

Or, les stratèges des finances américaines ont dû sourire en voyant la liste détaillée des acheteurs.

La Banque centrale de Russie a gonflé ses avoirs en dollars américains de 3% pour les porter près de 45% de ses réserves en devises étrangères. Preuve qu'une bonne crise a le don de ramener tout le monde sur terre.

Pourtant les Russes, appuyés d'autres membres du BRIC, ont mené pendant des mois une campagne pour promouvoir l'idée d'une nouvelle monnaie internationale, qui viendrait réduire la dominance du billet vert dans les réserves mondiales, évaluées à 8600 milliards US.

La Chine et le Brésil ont même lancé, il y a un an, un projet d'une devise «supranationale». Le président russe Dmitry Medvedev est allé encore plus loin, en dévoilant au monde l'été dernier une pièce fictive de la future «monnaie mondiale», appelée à détrôner le tout puissant dollar.

Mais la crise marque un dur retour à la réalité. L'euro a chuté de 18% par rapport au billet vert depuis la fin novembre. De sorte que les banques centrales, qui avaient beaucoup misé sur la monnaie européenne, ont probablement perdu 300 milliards US au change jusqu'ici en 2010, selon le fonds américain BlueGold Capital Management LLP.

Et comme les experts tablent sur une glissade prolongée de l'euro, inutile de chercher qui va profiter le plus du réalignement des portefeuilles? «Franchement, est-ce qu'un gestionnaire (de fonds) aurait investi dans l'euro ces derniers temps?», demande le cambiste new-yorkais Brown Brothers Harriman dans une note financière.

Combien de temps?

Quoi qu'on en dise dans les économies émergentes, le «papier» américain est roi. Encore. Il faut toutefois se demander combien de temps la nième idylle entre les investisseurs et le billet vert va durer.

Car les problèmes de dette de la zone euro sont un avertissement aux États-Unis, qui seront un jour confrontés à une crise si Washington tarde à prendre des mesures difficiles pour réduire ses déficits.

L'Amérique de Barack Obama est toujours mal en point sur le plan budgétaire. La plus grave récession depuis la Grande Dépression des années 1930 a laissé le pays avec un déficit de 1400 milliards US, soit environ 10% de son économie. C'est presqu'autant que l'Espagne (11% en 2009).

Sans compter que le vieillissement de la population entraînera une hausse des dépenses de santé et de retraite, ce qui complique les choses.

Pour l'instant, les investisseurs ne jurent que par les valeurs financières américaines. Mais si le marché arrive à la conclusion que l'endettement des États-Unis n'est plus soutenable, la première puissance mondiale pourrait vite perdre ses charmes, comme la Grèce ou l'Espagne.