Les anglophones ont une expression très juste qui n'a pas son équivalent en français. «Be careful what you wish for !» Traduite librement, elle signifie que, lorsque notre souhait se réalise enfin, il arrive qu'on puisse le regretter.

Or, cette expression est on ne peut plus à propos en ce qui concerne la Chine et sa monnaie, le yuan, qui suscite la polémique. Son appréciation tant attendue ne fera pas que des heureux.

Avec Taïwan, la valeur de la monnaie chinoise est le sujet qui divise le plus âprement la Chine et les États-Unis.

On peut dire sans se tromper que la valeur du yuan ne reflète pas la force de l'économie chinoise. Depuis toujours, la Chine se traîne les pieds lorsqu'il s'agit de réévaluer à la hausse sa monnaie. Pékin prétexte que les exportateurs chinois y succomberaient en trop grand nombre, leurs marges de profit étant minces comme des feuilles de riz. Or, ces exportateurs emploient des millions de travailleurs des campagnes, ce qui maintient le couvercle sur la marmite et assure la stabilité politique du pays.

De son côté, Washington s'insurge du fait que le faible cours du yuan favorise indûment les exportateurs chinois au détriment des entreprises américaines, qui ne sont plus concurrentielles. La question est d'autant plus sensible aux États-Unis depuis que le taux de chômage frise les 10%.

Cette dispute s'est ainsi envenimée, à tel point qu'un groupe bipartite de sénateurs a déposé un projet de loi en vertu duquel des tarifs douaniers seraient imposés sur les produits des pays dont la devise est artificiellement déprimée.

Depuis une semaine, toutefois, les experts croient déceler des signes de réchauffement entre les deux pays, à la suite de la rencontre privée entre les présidents Barack Obama et Hu Jintao, à l'occasion du sommet sur la sécurité nucléaire, à Washington.

Le yuan, rappelons-le, ne se transige pas librement. Depuis 2005, la valeur du yuan était établie en fonction d'un panier de devises internationales. Ce mécanisme a permis au yuan de s'apprécier de 21% en trois ans.

Depuis 20 mois, toutefois, Pékin a fixé la valeur du yuan par rapport au billet vert – un dollar américain valant 6,83 yuans et des poussières. Et cela, afin d'aider les exportateurs chinois à traverser la crise financière.

Mais la récession semble chose du passé, alors que l'économie chinoise s'emballe, avec une croissance de 11,9% au premier trimestre par rapport à l'an dernier. Qui plus est, les prix de l'immobilier montrent d'inquiétants signes de surchauffe dans plusieurs villes du pays. Bref, Pékin a tout intérêt à calmer le jeu, ce qui pourrait se faire au moyen d'une appréciation du yuan.

De combien ? Certains économistes s'attendent à ce que le yuan gagne de 2% à 5% cette année. Yanick Desnoyers, économiste en chef adjoint de la Financière Banque Nationale, envisage une hausse de 5% à 10% à moyen terme. «La Chine n'aura pas le choix», croit-il.

Cette appréciation ne fera pas que relever le prix des exportations chinoises. Un yuan plus fort accroîtra l'appétit de la Chine pour des entreprises étrangères, selon la Fondation Asie Pacifique du Canada, un institut de recherche sans but lucratif établi à Vancouver. Appétit qui dérange déjà, d'autant que les acquisitions sont pilotées par des sociétés d'État chinoises.

«Si le Canada veut recevoir une part des investissements chinois, il devra apprendre à vivre avec des sociétés d'État», note le président de la Fondation, Yuen Pau Woo.

À l'évidence, le Canada compose assez mal avec cette nouvelle réalité. Il suffit de voir la réaction alarmiste à l'achat, par la société Sinopec, de la participation de 9% de ConocoPhillips dans le projet d'exploitation de sables bitumineux Syncrude, en Alberta.

Le quotidien Globe & Mail s'est soucié du fait que cette société d'État chinoise puisse avoir un mot à dire sur les grandes décisions d'affaires consortium Syncrude, au même titre que les autres partenaires de ce projet. Mais quand on investit 4,6 milliards US, c'est bien la moindre des choses!

La crainte sous-jacente, c'est que la Chine se serve de son influence pour faire raffiner les sables bitumineux de l'Alberta en Asie. Et cela, au moyen d'un pipeline qui reste à construire. Le Northern Gateway reliera Edmonton à Kitimat, en Colombie-Britannique, si le promoteur, Enbridge, reçoit le feu vert des autorités réglementaires – ce qui n'est pas acquis compte tenu de la contestation de groupes autochtones.

Marlo Raynolds, directeur général de l'Institut Pembina, de l'Alberta, s'inquiète du fait que des sociétés d'État comme Sinopec puissent prendre des décisions qui ne soient pas fondées sur des considérations économiques, mais politiques. La Chine, on le sait, se soucie grandement de son approvisionnement et de sa sécurité énergétique.

Mais, dans le cas de Syncrude, Sinopec n'est qu'un de ses sept actionnaires. Il est hautement douteux que le Canadian Oil Sand Trust (participation de 37%) ou Imperial Oil (25%) se laissent guider par d'autres considérations que les profits.

D'ailleurs, à la suite de la tempête politique qui s'était déclenchée à Washington en 2005, lorsque la China National Offshore Oil Corp. (CNOOC) avait tenté d'acquérir le producteur californien Unocal, les sociétés d'État chinoises privilégient les investissements minoritaires. Moins de visibilité, moins de controverse, moins de problème.

Les investissements, au total, n'en sont pas moins imposants. L'an dernier, des entreprises chinoises ont claqué 32 milliards US pour mettre la main sur des sociétés énergétiques et des producteurs de métaux à travers le monde. Le pays dispose, par ailleurs, d'un fonds souverain de 300 milliards US!

Bienvenue au XXIe siècle.