Toute la journée, hier, le dollar a flirté avec la parité. Ce n'est évidemment pas une première. En novembre 2007, rappelez-vous, le dollar avait même touché un sommet de 1,10$ US! Mais cela fait plus de 20 mois que cela ne s'était pas vu.

Et comme le soleil ardent de ce week-end qui nous a donné une envie furieuse de s'acheter une moto ou une voiture décapotable, un huard fort nous donne des ailes. On se met à rêver des plages de la côte est des États-Unis et même de la Côte d'Azur, puisque notre dollar a aussi progressé par rapport à l'euro, plombé par la crise financière de la Grèce.

On compare plus facilement aussi les prix des livres et des bidules électroniques. Pourquoi payer 20$ de plus pour un iPod nano de 8 Go au Canada qu'aux États-Unis? Est-ce que cette différence s'explique uniquement pas des coûts de distribution plus élevés? Ou cache-t-elle des marges de profit plus élevées? Chose certaine, les chasseurs d'aubaines reluquent les boutiques à l'étranger. Ce qui est d'autant plus facile grâce aux sites transactionnels.

Malheureusement, les entreprises semblent insensibles à cette fièvre du printemps et à ces envies de magasinage. Non seulement elles hésitent à investir dans des ordinateurs ou de la machinerie qui leur permettraient d'être plus productives, mais dans bien des cas, elles angoissent à l'idée que leurs produits ne soient plus concurrentiels à l'étranger. Trop souvent, elles jouent les victimes.

Dommage qu'elles ne saisissent pas cette formidable occasion, maintenant que le dollar reflète enfin la force du pays, avec son système bancaire stable et ses vastes ressources naturelles. Car c'en est une.

Dans un discours prononcé il y a deux semaines à Ottawa, le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, a fait une sortie contre les entreprises du pays, qui n'investissent pas assez en machinerie, en équipement et en recherche et en développement (R&D).

Vous me direz que c'est un projet beaucoup moins sexy qu'un petit séjour au bord de la Méditerranée... Voici quelques données qui donnent toutefois à réfléchir.

Les Canadiens ne disposent que de la moitié des outils informatiques et de communication des Américains. Le Canada se classe au 16e rang des 30 pays de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en fonction de l'intensité de ses efforts en R&D.

Faut-il s'étonner que le Canada soit tombé, de 1960 à 2008, du 3e au 15e rang au chapitre de la productivité chez les pays de l'OCDE?

Certains entrepreneurs ont mal reçu ce que Mark Carney a qualifié de performance «abyssale» du Canada. Comment investir alors que la reprise semble si fragile? Cette réaction fait écho aux données tirées de la balance commerciale du pays pour janvier, où les importations de machinerie s'affichaient en net recul. (Petit producteur de machinerie, le Canada importe le gros de ses outils de travail des États-Unis, de l'Europe et du Japon.)

Le problème, c'est qu'il ne semble jamais y avoir de bon moment. Depuis 10 ans, la productivité au Canada n'a progressé que de 0,7% par année. C'est presque moitié moins que le taux moyen enregistré de 1980 à 2000. Pendant ce temps, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon filent loin devant. Ajoutez à cela le vieillissement de la population et vous avez trouvé la recette infaillible de la médiocrité.

La productivité ne signifie pas de travailler plus, mais de travailler mieux!

L'autre aberration, c'est que les entreprises ne se protègent pas mieux contre les fluctuations du dollar. Un sondage mené par la Banque de développement du Canada en juin dernier auprès d'entreprises exportatrices indiquait que 57% de ces sociétés se protégeaient des fluctuations adverses des devises au moyen de contrats ou de techniques de couverture. Ce qui signifie, a contrario, que 43% de ces sociétés exportatrices ne bénéficient d'aucune protection. Elles ne disposent ainsi d'aucune période de temps pour s'ajuster au changement, puisque les hausses et les baisses finissent invariablement par rattraper tout le monde.

Le problème est encore plus patent chez les PME, qui sont encore plus vulnérables aux sautes d'humeur du dollar, comme exportateur ou comme importateur de matières premières. À l'instar de joueurs compulsifs, certains entrepreneurs préfèrent croire que le vent finira par tourner en leur faveur, alors que, dans certains cas, ils parient littéralement la survie de leur entreprise sur un «feeling». Il n'y a pourtant pas besoin d'avoir d'un spécialiste à l'interne, puisque les courtiers en devises et les banques disposent de tels experts.

Rien n'indique que le dollar canadien, qui trouve sa force dans celle de l'économie du pays, retombera de sitôt. Mais les mouvements de devises sont les fluctuations les plus difficiles à prévoir. C'est encore plus vrai pour les devises secondaires comme le huard, qui sont plus sensibles aux coups de vent sur les marchés internationaux. Qui plus est, ces mouvements, dans une direction comme dans l'autre, sont de plus en plus brusques depuis quelques années.

Il faut être inconscient pour ne pas s'en soucier.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca