C'est un lendemain de budget qui se vit comme un lendemain de veille. Après des années à vivre au-dessus de leurs moyens, les Québécois se sont réveillés hier avec un mal de bloc, assommés par la sévérité des mesures requises pour combler le déficit de 12,3 milliards de dollars anticipé d'ici quatre ans.

À part quelques rêveurs qui pensent encore que l'argent pousse dans les arbres, tout le monde s'entend pour dire que le gouvernement doit corriger le tir.

Le Québec, faut-il le rappeler, est la province la plus endettée au pays. Le ratio de sa dette brute sur son produit intérieur brut s'élève à 53,2%, selon les calculs du ministère des Finances. Il n'y a que l'Italie, le Japon, la Belgique et la Grèce qui font plus mauvaise figure chez les pays industrialisés! Et les déficits répétés ne font qu'aggraver ce problème.

Mais c'est quand vient le temps de déterminer qui doit payer quoi que le débat dérape. Dans les tribunes virtuelles des blogues, les Québécois ont recraché leur dégoût et leur accablement, hier. Pourquoi ne pas faire payer les riches et les entreprises? Pourquoi ne pas dégraisser l'État? Pourquoi ne pas chasser ceux qui fraudent le fisc?

Cette dernière suggestion est ironique quand l'on prend connaissance des cibles établies par Raymond Bachand à son premier budget comme ministre des Finances. Ces cibles sont encore plus ambitieuses que celles de Monique Jérôme-Forget, qui semblaient déjà irréalistes.

L'ancienne ministre avait prévu récupérer 200 millions de dollars cette année en pertes fiscales. Le nouvel argentier du Québec croit que, d'ici l'année financière 2013-2014, les limiers de la nouvelle Agence de revenu du Québec en dénicheront six fois plus, soit 1,2 milliard.

Et cela, en s'attaquant au travail au noir dans la construction, aux fraudes économiques et au trafic de cigarettes.

Bonne chance! Si c'était si simple que cela, le Québec l'aurait fait avant, lui qui promet, année après année, de pourchasser les fraudeurs du fisc.

Le gouvernement libéral s'est enfin décidé à agir. Bravo. Mais cela ne veut pas dire que ses choix tant attendus soient les plus justes.

La nouvelle taxe santé, qui finira par rapporter 945 millions de dollars par année à Québec, en est un bon exemple. Même si sa hausse est «graduelle», les Québécois d'âge adulte paieront rapidement 200$ par année. Uniquement pour maintenir les soins de santé à leur (très inégal) niveau actuel.

Et contrairement à ce que laisse entendre le ministre de la Santé, Yves Bolduc, ce n'est pas parce que les petits salariés savent que cette taxe sera consacrée au réseau de la santé qu'ils auront plus de facilité à la payer, eux qui ont souvent du mal à joindre les deux bouts! Clairement, le Québec aurait dû trouver une façon de moduler cette taxe selon la capacité de payer des contribuables.

Cela dit, cela ne signifie pas qu'il faille imposer plus lourdement les plus riches. Ces nantis (revenus de 100 000$ et plus) sont moins nombreux, toutes proportions gardées, que dans l'ensemble du Canada. Mais ils assument déjà un fardeau plus lourd qu'ailleurs au pays, a calculé La Presse Affaires à partir des statistiques fiscales des particuliers pour 2005. Ainsi, un petit groupe de 3% de Québécois paie 29% des impôts amassés par Québec et Ottawa dans la province. Avec la mobilité des professionnels, le Québec se tirerait dans le pied.

En revanche, pourquoi ne pas avoir taxé plus lourdement les produits de luxe, comme cela se voit en Europe? Les parfums, les diamants, les Mercedes? Pour le Québec, c'est tout bon.

Le gouvernement aurait aussi pu exiger un effort plus considérable de la part de certaines entreprises. Par exemple, Québec entend relever les tarifs d'électricité à partir de 2014 pour tous les particuliers et les entreprises, à l'exception des grandes entreprises exportatrices qui profitent du tarif de grande puissance, le fameux tarif L.

Si le prix de l'électricité doit mieux refléter son coût véritable, pourquoi ce raisonnement ne s'appliquerait-il pas aussi à ses plus grands consommateurs? Si les tarifs québécois sont nettement moins élevés que ceux imposés ailleurs, comme Québec le souligne toujours, cet écart devrait toujours favoriser la province aux yeux des industriels, non?

En conférence de presse, hier, le ministre Bachand a expliqué qu'il fallait protéger les entreprises qui créent de l'emploi. Mais comme l'a souligné avec justesse Richard Fahey, porte-parole de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, il s'agit d'une iniquité envers les 200 000 PME du Québec qui paient déjà leur électricité plus cher. Or, ce sont les PME qui sont justement les plus grandes créatrices d'emplois.

Par ailleurs, le ministre des Finances aurait pu aller au bout de sa logique et relever les frais des services de garde dans les centres de la petite enfance et les autres garderies subventionnées du Québec. Sept dollars par jour, c'est deux dollars de moins que le salaire horaire minimum au Québec! Si le gouvernement avait fait passer les frais de garde de 7 à 10$ par jour, ce qui ne compromet pas l'accessibilité de ce service, Québec aurait pu récupérer 200 millions de dollars, selon les calculs du groupe des quatre économistes qui a conseillé le ministre.

Faire des choix, aussi révolutionnaire que cela puisse paraître au Québec, ce n'est pas une fin en soi. Encore faut-il faire les plus judicieux pour construire, dixit Raymond Bachand, le «Québec qu'on souhaite dans 20 ans».

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca