«Si ce phénomène-là arrive, c'est clair que c'est la catastrophe. Ils vont prendre le contrôle de l'agriculture au Québec.»

C'est ainsi qu'a réagi Réjean Bessette, président de la Fédération de l'Union des producteurs agricoles (UPA) de Saint-Hyacinthe, en prenant connaissance du reportage de l'émission Une heure sur terre sur la vente de terres agricoles québécoises à des intérêts chinois. Car ce sont bien eux qui se cachent derrière ce «ils» empreint d'une menace qui évoque le péril jaune.

Grâce à la promotion tous azimuts de Radio-Canada, ce reportage a eu beaucoup de retentissement depuis une semaine. Mardi, l'affaire a même rebondi à l'Assemblée nationale. La porte-parole de l'opposition officielle en agriculture, Marie Bouillé, a interpellé le gouvernement de Jean Charest. «Il faut mettre nos terres à l'abri des consortiums d'investisseurs étrangers qui sont surtout intéressés à avoir la mainmise sur la production alimentaire», réclame la députée d'Iberville.

À entendre ces déclarations, on pourrait croire que les Chinois sont sur le point de s'emparer de toutes les pommes de nos vergers. Or, cette histoire s'apparente plutôt à une tempête dans un verre d'eau.

N'achète pas une ferme qui veut dans la Belle Province, qui est régie par la Loi sur l'acquisition de terres agricoles par des non-résidants. Depuis 1979, cette loi interdit l'achat de terres agricoles par des personnes qui ne résident pas au Québec, à moins d'une autorisation spéciale de la Commission de protection du territoire agricole.

Cette commission se penche ainsi sur toute transaction qui porte sur un terrain de plus de quatre hectares en zone agricole impliquant des intérêts étrangers.

Quand les acheteurs comptent s'établir au Québec et s'engagent à y rester pour au moins deux ans, pas de problème: la Commission donne généralement le feu vert. Cela vaut pour un Vermontois comme pour un Chinois. Mais, c'est une tout autre histoire quand l'acquéreur pressenti n'entend pas déménager ici ou s'il s'agit d'une société dont les principaux actionnaires ne résident pas au Québec.

«Il y a des cas d'espèce où l'on peut montrer une certaine ouverture, quand on a la preuve solide qu'il s'agit d'une exploitation agricole véritable et continue, en lien avec le milieu», note toutefois Lévis Yockell, directeur des services professionnels à la Commission. Il cite l'exemple d'un agriculteur de l'est de l'Ontario qui souhaite acquérir une terre à deux kilomètres de chez lui, de l'autre côté de la rivière des Outaouais.

La députée Marie Bouillé déplore le fait que les balises de la Commission ne soient pas assez claires. Il revient au gouvernement de les préciser, dans un contexte où les terres agricoles sont de plus en plus convoitées.

Quoi qu'il en soit, le mécanisme d'examen et d'approbation des transactions qui existe depuis plus de 30 ans au Québec permet d'écarter les spéculateurs. «Et si on découvre qu'un acquéreur s'est servi d'un prête-nom, on a des recours devant les tribunaux», ajoute Lévis Yockell.

Ainsi, le Québec est l'une des juridictions où la propriété des terres agricoles est la plus strictement réglementée.

À tout événement – ceci explique peut-être cela –, il n'y a pas de «spéculateurs qui commencent à envahir nos campagnes», comme le déclarait Radio-Canada d'emblée. Autant cette tendance est documentée en Afrique et en Amérique du Sud – et l'excellent reportage de Chantal Lavigne au Mali en témoigne bien –, autant elle semble montée en épingle au Québec.

Si les fameux investisseurs de Shanghai du reportage d'Une heure sur terre sont invisibles, ce n'est peut-être pas tant qu'ils sont mystérieux que brouillons. En effet, ces éventuels acquéreurs changent constamment d'idée, faisant courir un agent immobilier de Brossard d'un bout à l'autre du Québec.

Au début, ils recherchent 10 000 hectares. À la fin, ils en convoitent 40 000, un territoire qui équivaut aux quatre cinquièmes de la superficie de l'île de Montréal!

À un agriculteur de Saint-Valérien-de-Milton, en Montégérie, ces acheteurs chinois offrent d'acheter un champ de maïs, puis une porcherie, puis la maison familiale, afin de convertir le tout en école d'agriculture pour étudiants chinois. Cela ne fait pas très sérieux.

Au final, et c'est ce qu'il faut retenir, il n'y a qu'un seul groupe de Chinois qui ait approché des agriculteurs du Québec. Et celui-ci n'a pas encore acheté une seule terre ou exploitation au Québec. Pas une!

«Sur le terrain, on ne voit pas cela pour l'instant», dit Mélanie Fiset, porte-parole de la Financière agricole du Québec, qui a des bureaux dans toutes les régions.

«À ma connaissance, il n'y a pas eu de cas précis», dit Éliane Hamel, directrice des communications de l'UPA, qui s'inquiète néanmoins pour la sécurité alimentaire du Québec.

«Il n'y a aucune indication d'une telle vague (d'acheteurs chinois) au Québec, sinon dans le reportage de Radio-Canada», note Lévis Yockell.

Bon an, mal an, la Commission de protection du territoire agricole du Québec examine une cinquantaine de transactions (49 à sa dernière année financière, dont 6 ont été refusées). Et il n'y a pas eu de poussée de demandes d'approbation depuis la publication de son dernier rapport annuel.

L'or vert

Les terres agricoles du Canada, qui offrent un bon rapport rendement/prix, n'en sont pas moins convoitées. D'autant qu'elles sont situées dans un État de droit avec des infrastructures développées, note Stephen Johnston, associé d'AgCapita, plus grande firme d'investissement agricole au pays, établie à Calgary.

Les investisseurs institutionnels des États-Unis, de l'Europe et du Moyen-Orient convoitent les terres agricoles, qui sont perçues comme une catégorie d'actif intéressante permettant de diversifier son risque et de se prémunir contre l'inflation. Mais ils investissent plus dans des provinces où la propriété étrangère est moins sévèrement réglementée, comme en Alberta et au Manitoba, plutôt qu'au Québec ou en Saskatchewan.

En comparaison, les Chinois sont peu présents au Canada, note Stephen Johnston. La Chine est un grand importateur de produits céréaliers. Conséquence: ils veulent avoir accès à de vastes terres agricoles. «Ils n'ont pas de temps à perdre avec de petites transactions, dit-il. Leur problème est si grand que de petites terres ne le résoudront pas.»

Voilà pourquoi le gouvernement chinois préfère s'entendre avec un pays d'Afrique qui lui permettra de «prendre en charge» un coin de pays.

«Les Chinois évitent généralement les pays occidentaux, parce qu'ils savent que leur présence heurte les sensibilités et provoque un ressac dans l'opinion publique», note Stephen Johnston.

La preuve...