Il y a quatre ans, lorsque le ministre des Finances Jim Flaherty s'est installé dans le fauteuil de son prédécesseur libéral Ralph Goodale, il a hérité d'une situation en or. Ottawa nageait littéralement dans les surplus (le dernier budget Goodale faisait état de surplus de 49 milliards pour les quatre années suivantes).

Or, il est déjà acquis que le budget de l'exercice qui prendra fin dans quelques semaines se soldera par un déficit de 56 milliards, le plus élevé de l'histoire canadienne.

Que s'est-il donc passé?

Si les finances du gouvernement se sont détériorées à ce point, ce n'est pas parce que M. Flaherty est un mauvais ministre. Le trou de 56 milliards est surtout dû à trois événements sur lesquels il n'avait guère d'emprise:

> La baisse de deux points de pourcentage de la TPS. À elle seule, cette décision fait perdre 12 milliards par année à Ottawa. La réduction de la taxe était un engagement électoral clé des conservateurs. Certes, le ministre des Finances aurait pu protester, essayer de convaincre le premier ministre que c'était une mauvaise promesse, mais cela n'aurait pas donné grand chose. M. Harper et la quasi-totalité de son caucus, ainsi qu'une grosse partie de l'opinion publique, y tenaient mordicus. Renier cette promesse quelques mois après les élections aurait été politiquement suicidaire. M. Flaherty a été pris avec la patate chaude.

> Le règlement du déséquilibre fiscal. Le premier budget Flaherty contenait une importante annexe, où le ministre reconnaissait ouvertement l'existence d'un déséquilibre fiscal entre Ottawa et les provinces (chose que les libéraux ont toujours refusé d'admettre). Un an plus tard, dans son deuxième budget, il proposait une augmentation substantielle et durable des transferts aux provinces: près de 40 milliards en sept ans. En 1998, au plus sombre des compressions fédérales, les transferts aux provinces se situaient à 25 milliards. Cette année, ils dépasseront les 50 milliards. Aujourd'hui, on ne parle plus de déséquilibre fiscal, mais cela a coûté très cher à Ottawa. Là aussi, M. Flaherty aurait pu protester, mais il fallait bien qu'un jour ou l'autre, quelqu'un s'attaque à ce dossier qui empoisonnait les relations fédérales-provinciales depuis des années.

> La récession. En 2008, le Canada a dû affronter la pire récession depuis la Grande Dépression des années 30. Dans son budget de janvier 2009, le ministre fait ce qu'un gouvernement peut faire de mieux dans ces conditions: injecter massivement des fonds publics pour soutenir l'économie. Il a fallu un certain courage à M. Flaherty pour annoncer un déficit de 34 milliards; cela va à l'encontre de la philosophie de son parti. On sait aujourd'hui que ce déficit atteindra les 56 milliards, comme on vient de le voir.

Cet après-midi, quand il déposera son cinquième budget, M. Flaherty va expliquer aux Canadiens comment il entend s'y prendre pour retrouver l'équilibre budgétaire.

Il a besoin d'être solide.

Personne ne conteste l'idée d'augmenter les dépenses publiques en temps de crise. Mais il y a un envers de la médaille: en période de croissance, les gouvernements doivent revenir à l'austérité pour rétablir l'équilibre. C'est précisément parce que le Canada a négligé de faire cela qu'il s'est retrouvé dans le cul-de-sac financier que l'on sait dans les années 90.

Or, il se trouve qu'il sera beaucoup plus long et difficile que prévu d'atteindre à nouveau l'objectif du déficit zéro.

Dans son budget de 2009, M. Flaherty présente un échéancier qui apparaît aujourd'hui comme hautement fantaisiste.

Selon ce scénario, le déficit de 34 milliards allait se résorber de lui-même en quatre ans. Les prévisions du ministre font état d'un autre déficit de 30 milliards l'an prochain, puis de 13 milliards l'année suivante, 7 milliards en 2013, et finalement un léger surplus de 700 millions dans quatre ans.

Pour y arriver, le ministre s'attend à ce que ses revenus budgétaires augmentent deux fois plus rapidement que ses dépenses, et même un peu plus: hausse de 31% pour les revenus et de 14% des dépenses.

C'est un tableau, disons-le poliment, franchement jovialiste.

Et tout cela, c'est pour hypothétiquement venir à bout d'un déficit de 34 milliards. Imaginez 56 milliards! Dans ces conditions, inutile de rêver au déficit zéro dans quatre ans.

Cet après-midi, Jim Flaherty met en jeu sa crédibilité. Il doit présenter un échéancier responsable, réaliste et cohérent d'élimination du déficit. Des millions de Canadiens se souviennent encore des sacrifices qu'ils ont dû consentir pour se sortir de l'impasse financière il n'y pas si longtemps. Personne ne veut retomber dans le même calvaire.