«Tous les économistes nous disent que la récession est finie et que les choses vont aller mieux en 2010. C'est drôle, mais on ne le voit pas, on ne le sent pas, on vit plutôt dans un climat de déprime généralisée.»Voilà un commentaire que j'ai beaucoup entendu depuis quelques semaines. C'est comme s'il y avait un décalage entre l'opinion publique et les savantes prévisions des spécialistes.

Dans le journal d'hier, vous avez sans doute lu les opinions des économistes des grandes banques canadiennes. Leur verdict est unanime: l'économie canadienne continuera de se redresser en 2010. Même que le Canada, parmi les grands pays industrialisés, devrait faire figure de leader.

La Banque du Canada, dans ses plus récentes prévisions, s'attend à une expansion économique de 3% en 2010. Le consensus qui se dégage chez les économistes du secteur privé tourne plutôt aux alentours de 2,6%. Chaque point de pourcentage représente 13 milliards.

Il y a deux semaines, les spécialistes consultés par La Presse Affaires dans le cadre de son enquête annuelle sur les boules de cristal de l'économie parlaient d'une croissance de 2,4%. Tous ces chiffres sont exprimés en termes réels, c'est-à-dire qu'ils tiennent compte de l'inflation. Que l'on parle de 2,4% ou de 3%, toutes ces prévisions sont encourageantes. Elles signifient que c'est la lumière au bout du tunnel.

Il y a, soit dit en passant, quelque chose de remarquable dans les «boules de cristal» publiées dans La Presse depuis 34 ans, selon une méthodologie mise au point à l'époque par mon regretté collègue Jean Poulain, et constamment mise à jour depuis. Jamais, pendant toute cette période, le consensus des économistes participants n'est allé dans la mauvaise direction. Il est arrivé qu'on surestime ou sous-estime (encore que légèrement) les ordres de grandeur, mais chaque fois que les «boules de cristal» pointaient vers le haut, il y a eu croissance; chaque fois qu'elles pointaient vers le bas, il y a eu ralentissement.

Pourquoi, alors, ce sentiment général de morosité alors que toutes les prévisions pointent vers le haut?

Parce qu'une récession, par définition, fait mal. En 30 ans, le Canada a connu trois récessions importantes: celle de 1981-1982, celle de 1990-1991 et celle qui vient de prendre fin. Aucune récession n'est pareille aux autres. Chacune, si on peut dire, a sa «personnalité» propre. La première a été causée par la politique monétaire américaine (le taux d'escompte de la Réserve fédérale a même dépassé les 21% à un certain moment) et ses débordements sur l'économie canadienne. La récession de 1990, «made in Canada», comme on disait à l'époque, est en grande partie le résultat de la croisade anti-inflation de John Crow, alors gouverneur de la Banque du Canada. La plus récente, enfin, est liée à la crise financière de 2008.

Mais toutes, en dépit de leurs origines diverses, ont des conséquences communes: faillites, chômage, pauvreté, détérioration des finances publiques.

Même lorsque l'économie retrouve le chemin de la croissance, il est normal que les gens continuent de broyer du noir pendant des mois. Cela s'est produit en 1983. Cela s'est aussi produit en 1992, au point même où Statistique Canada, lorsqu'elle a annoncé officiellement la fin de la récession, s'est heurtée à un mur d'incrédulité et a même envisagé de repenser la définition classique d'une récession (deux trimestres consécutifs de croissance négative). La suite des événements devait cependant donner raison à l'agence fédérale de statistique: la récession était bel et bien finie. Mais cela ne correspondait pas à la perception des consommateurs.

C'est exactement ce qui se passe cette fois-ci.

D'un point de vue québécois, ce scepticisme peut se comprendre. Si on le compare au reste du Canada, et surtout aux États-Unis, le Québec a relativement bien traversé la récession. En revanche, les prévisions pour 2010 ne sont pas aussi brillantes que dans le reste du Canada. Nous avons vu plus haut que le rythme d'expansion économique au Canada, selon les «boules de cristal» de La Presse, se situera à 2,4% ; au Québec, le chiffre correspondant est de 1,95%. Enfin, la création d'emplois au Québec devrait se situer à 43 000, ce qui ne fera pas de 2010 une année particulièrement fastueuse.

Ainsi, à moins d'un revirement de situation imprévisible, l'économie canadienne (et, dans une moindre mesure, celle du Québec) rebondira bel et bien en 2010, même si cela ne paraît pas évident maintenant.