Amis lecteurs, soyez prévenus, cette chronique contient beaucoup de chiffres, mais prenez la peine de les lire attentivement, un véritable drame va se déployer sous vos yeux*.

En 2006, lors du dernier recensement, il y avait au Saguenay-Lac-Saint-Jean 61 000 jeunes de 19 ans ou moins, contre 40 000 personnes âgées de 65 ans ou plus. Entre les deux, 173 000 adultes âgés de 20 à 64 ans, la vaste majorité étant active sur le marché du travail. Cela nous donne une population totale de 274 000 habitants.

En 2031, dans une vingtaine d'années à peine, la même région abritera 255 000 personnes. C'est un léger recul, certes, mais il y a beaucoup plus grave: si on répartit cette population selon les groupes d'âge, on s'aperçoit que les jeunes ne seront plus que 46 000, tandis que le nombre de personnes âgées aura bondi à 84 000. Fait encore plus spectaculaire, le nombre d'aînés dépassant la barre des 75 ans va passer de 18 000 à 43 000. Dans la tranche des 20-64 ans, il ne restera plus que 125 000 personnes...

Autrement dit, la région se vide de ses jeunes tandis que le nombre de personnes âgées augmente à une vitesse foudroyante. Entre les deux, les travailleurs auront perdu plus du quart de leurs effectifs...

Les spécialistes ont un outil pour mesurer les dommages causés par cette évolution: c'est le rapport de dépendance démographique. Pour l'obtenir, on additionne les jeunes et les aînés, puis on divise le résultat par la population de 20 à 64 ans et on multiplie par 100. Concrètement, dans la cas du Saguenay-Lac-Saint-Jean en 2006, cela veut dire 101 000 divisés par 173 000, ce qui donne 0,59. Multiplié par 100 égale 59. Il y a donc, pour chaque tranche de 100 travailleurs, 59 jeunes et aînés. Cet indice bondira à 105 en 2031.

Certes, il y a des personnes qui commencent à travailler avant 19 ans, ou qui continuent après 65 ans. Ce ne sont pas tous les jeunes et tous les aînés qui sont des «dépendants démographiques». De la même façon, il y a évidemment des chômeurs chez les 20-64 ans. Mais ce sont des exceptions. De façon générale, plus l'indice est élevé, moins il y a de travailleurs pour soutenir les enfants, les ados et les retraités. Quand l'indice dépasse 100, c'est malsain.

Or, le Saguenay-Lac-Saint-Jean est loin d'être un cas unique. D'ici 2031, la Gaspésie perdra 26% de ses jeunes (un sur quatre, tout de même, quelle catastrophe) mais sa population âgée de 65 ans et plus augmentera de 112% (chez les 75 ans et plus, la hausse atteindra, tenez-vous bien, 142%). La région affichera à ce moment-là un rapport de dépendance démographique de 113, le plus élevé au Québec.

La situation est à peine moins sombre en Abitibi-Témiscamingue, dans le Bas-Saint-Laurent, sur la Côte-Nord.

Derrière ces quelques chiffres se cache tout le drame de la dépopulation et du vieillissement des régions périphériques québécoises.

Là où il y a des perdants, il y a aussi des gagnants, et en l'occurrence, la grande gagnante, c'est la région de Montréal.

Certes, comme l'ensemble du Québec, la région de Montréal est aussi touchée par le vieillissement de la population, mais elle compense amplement par l'arrivée de milliers de jeunes ménages issus non seulement des autres régions du Québec, mais aussi de l'immigration (85% des immigrants qui arrivent au Québec choisissent de s'installer dans la région de Montréal).

Ainsi, d'ici 2031, la population de la région métropolitaine de recensement (Montréal, Laval, Rive-Sud, couronne nord) dépassera 4,4 millions d'habitants, contre 3,7 millions en 2006, une hausse de 21% (contre une moyenne québécoise de 16%).

L'île de Montréal gagnera 9000 jeunes citoyens de moins de 19 ans. Les gains seront de 10 000 en Montérégie, 15 000 dans les Laurentides, 20 000 à Laval, et un solide 23 000 dans Lanaudière. Dans toutes ces régions, la population adulte de 20 à 64 ans sera aussi en hausse, de sorte que, malgré le vieillissement de la population, le rapport de dépendance démographique se situera toujours en 2031, pour l'ensemble de la région montréalaise, au niveau fort acceptable de 77.

Seulement deux autres régions, l'Outaouais et la région de Québec, réussiront aussi à freiner l'exode des jeunes. Partout ailleurs, c'est la désolation...*Tous les chiffres, dans cette chronique, sont extraits de l'édition 2009 des Perspectives démographiques du Québec et des régions, publiée cette semaine par l'Institut de la statistique du Québec.