Si l'on en croit une opinion assez répandue chez les économistes, le Québec s'appauvrit par rapport au reste du Canada.

C'est vrai: entre 2000 et 2008, le poids économique du Québec à l'intérieur du Canada est passé de 21 à 19%. Ces deux points de pourcentage peuvent paraître insignifiants: en réalité, ils représentent la bagatelle de 33 milliards (autrement dit, si les Québécois avaient simplement réussi à maintenir leur poids économique depuis 2000, ils seraient collectivement plus riches de 33 milliards aujourd'hui). Ces chiffres sont basés sur le produit intérieur brut (PIB), qui mesure la taille de l'économie.

Or, le PIB ne dit pas tout. Pour la plupart d'entre nous, c'est une notion abstraite, même quand on le divise par la population pour obtenir le PIB par habitant. D'autre part, le PIB ne reflète que partiellement le niveau de vie. À cause du pétrole, le PIB de Terre-Neuve a fait un bond spectaculaire de 125% depuis huit ans. Cela ne veut pas dire que chaque Terre-Neuvien s'est enrichi dans la même proportion.

En revanche, s'il est une notion facile à comprendre pour tout le monde, c'est bien celle de la rémunération hebdomadaire, c'est-à-dire du chèque de paie que l'on rapporte à la maison. La rémunération globale inclut le salaire de base, les heures supplémentaires et les primes avant impôts, mais exclut les avantages sociaux.

Voilà un indicateur du niveau de vie concret, beaucoup plus palpable que le PIB par habitant.

Or, des chiffres mis à jour cette semaine par l'Institut de la statistique du Québec (ISQ), et comportant des données aussi récentes que celles de juillet 2009, montrent que les travailleurs québécois ne s'appauvrissent pas tant que cela.

Dans l'ensemble du Canada, la rémunération hebdomadaire moyenne se situe actuellement à 824$. Au Québec, la somme correspondante est de 775$. Certes, le Québec continue à accuser un retard sur le reste du pays, mais cet écart, qui correspond d'ailleurs à la moyenne historique, n'est pas dramatique. Après tout, les salaires québécois atteignent 94% de la moyenne canadienne.

Ce qu'il est important de regarder dans les chiffres de l'ISQ, c'est à quel point les salaires des Québécois évoluent par rapport aux autres provinces.

Entre 1998 et aujourd'hui, la rémunération hebdomadaire moyenne au Canada est passée de 633$ à 824$, une hausse de 30%. Au Québec, de 602$ à 775$, en hausse de 29%. À quelques poussières près, la courbe québécoise des hausses salariales épouse celle de la moyenne canadienne. En supposant que les salaires québécois aient suivi exactement la même courbe que le Canada, chaque Québécois gagnerait 8,92$ de plus par semaine... avant impôts. Pendant la même période, en Ontario, les salaires hebdomadaires sont passés de 673$ à 845$, une progression de 26%, donc sensiblement plus faible qu'au Québec.

Il y a autre chose. Les chiffres que nous venons de voir ne tiennent pas compte de la hausse du coût de la vie. Cela fait une bonne différence.

Le cas le plus spectaculaire est certes celui de l'Alberta. Toujours entre 1998 et aujourd'hui, les salaires albertains sont passés en moyenne de 635$ à 943$, une prodigieuse ascension de 48%, de loin la plus forte au Canada. Or, pendant ce temps, en Alberta, le coût de la vie augmentait également de façon beaucoup plus rapide que dans le reste du pays: 37% d'inflation en 11 ans, contre une moyenne canadienne de 26%. Résultat: le salaire réel, en Alberta, n'a pas augmenté de 48%, mais de 14%, ce qui demeure quand même fort honorable.

L'indice des prix à la consommation varie beaucoup d'une province à l'autre. En Alberta, on vient de le voir, il a augmenté de 37%. À l'autre bout de l'échelle, en Colombie-Britannique, 21%, presque deux fois moins. Au Québec, 23%. La moyenne canadienne est de 26%.

Si on veut voir à quel point les travailleurs des différentes provinces se sont enrichis depuis une dizaine d'années, ce n'est pas suffisant de considérer la rémunération. Il faut aussi voir à quel point les chèques de paie ont été grugés par l'inflation. Voici ce que cela donne.

Dans l'ensemble du pays, la rémunération hebdomadaire moyenne a augmenté de 3,7% en termes réels depuis 1998. Au Québec, le chiffre correspondant est pratiquement identique à 3,6%. En Ontario, de 2,5%.

L'appauvrissement relatif du Québec est une réalité quand on regarde le recul de son poids économique, recul dû, entre autres, à sa faible productivité et à son déclin démographique. Prix de consolation: les chiffres que nous venons de voir montrent que cet appauvrissement n'apparaît pas, du moins pas encore, sur les chèques de paie.