Au printemps dernier, les libéraux fédéraux redoutaient la grosse machine conservatrice, en particulier une salve prévisible de publicités négatives visant à miner la crédibilité de leur chef, Michael Ignatieff.

Dès 2007, les conservateurs, inspirés par leurs cousins républicains des États-Unis, avaient orchestré de main de maître une opération «bing-bang-rentre-dedans» dévastatrice contre Stéphane «not a leader» Dion.

 

Tous les bons stratèges s'entendent là-dessus: en politique, un chef doit définir et projeter lui-même l'image qu'il souhaite imprimer dans l'électorat, faute de quoi ses détracteurs se chargeront de lui arranger le portrait. Et comme les caricatures impressionnent toujours plus qu'une photo réelle, malheur aux leaders qui tombent dans la trappe des publicités négatives.

Les libéraux avaient raison de craindre pour l'image de leur chef. Curieusement, toutefois, les dommages n'ont pas été infligés par les conservateurs, mais bien par Michael Ignatieff lui-même, qui a disparu de l'écran radar politique depuis de longues semaines. Du coup, une impression (et en politique, l'impression devient souvent la réalité) de nonchalance et de laxisme s'est imprégnée chez tous les commentateurs et chez plusieurs libéraux.

Cette impression est-elle en train de se répandre dans la population canadienne? Les sondages des derniers jours laissent en tout cas croire que M. Ignatieff a perdu des plumes cet été, tant dans les intentions de vote que dans sa cote de crédibilité face à Stephen Harper.

Après avoir écrit, la semaine dernière, que M. Ignatieff avait manqué une belle occasion de se faire voir au cours des dernières semaines, j'ai reçu de nombreux courriels de militants libéraux inquiets devant le manque de substance de leur parti. L'image de la coquille vide revient souvent.

Vrai, les électeurs sont plus distraits l'été. Vrai, les gouvernements montent souvent dans les sondages durant la période estivale (du fait, notamment, qu'ils ne font généralement rien!). Vrai, aussi, il est toujours difficile pour le chef de l'opposition d'attirer l'attention.

Cela dit, aucun sondage ne place en ce moment les libéraux dans une position de victoire garantie. Même pas minoritaires. Les plus généreux de ces sondages n'accordent même pas 35% aux libéraux. Or, la dernière fois que les libéraux ont gagné les élections (le gouvernement minoritaire de Paul Martin, en 2004), c'était avec plus de 36%.

La confiance de certains organisateurs libéraux, surtout ceux qui rêvent de rafler 30 sièges au Québec (16 de plus qu'en ce moment) repose bien plus sur un excès d'optimisme que sur des probabilités statistiques raisonnables.

Autre donnée de 2004: les libéraux de Paul Martin avaient remporté 21 sièges au Québec avec 34% des voix. Les coups de sonde récents les placent tous en deçà de ce score.

On peut bien dire par ailleurs que Michael Ignatieff aurait perdu son temps en faisant campagne cet été, le fait est qu'il n'avait pas vraiment le choix. S'il envisage encore de renverser le gouvernement à la fin de septembre, le chef libéral n'a plus qu'un mois devant lui. Et même pas tout à fait puisqu'il sera parti en Chine quatre jours au début du mois.

Pour espérer sauver la mise au prochain scrutin, Michael Ignatieff devra donc livrer une rude bataille sans commettre de faute grave. Voilà justement l'inconnue: le nouveau chef libéral n'a jamais été mis à l'épreuve dans une campagne électorale. Règle générale, les gens ont plutôt un préjugé favorable pour le bonhomme, mais le contact reste superficiel puisque M. Ignatieff a du mal à toucher les cordes sensibles des électeurs.

Par ailleurs, ceux qui l'ont observé depuis quelques mois savent qu'il n'est pas un bagarreur à la Jean Chrétien et qu'il n'a ni les réflexes ni la constitution de cet increvable voyageur.

Les libéraux ne sont certainement pas là où ils rêvaient d'être il y a quelques mois, mais en politique comme au baseball, pardonnez le cliché, ce n'est pas fini tant que ce n'est pas terminé.

La disparité dans les résultats des sondages récents indique une certaine confusion au sein de l'électorat.

Les libéraux n'ont pas ouvert leur jeu encore, mais les conservateurs, au pouvoir depuis près de quatre ans, devront défendre leur bilan. Au passif: un déficit record de plus de 50 milliards, une politique étrangère en rade, un net recul en matière d'environnement et quelques dossiers épineux comme celui de la pénurie d'isotopes médicaux.

Les partis de l'opposition aux Communes ont tenté de marquer des points la semaine dernière en dénonçant le manque de préparation du gouvernement pour contrer une éventuelle résurgence de la grippe A (H1N1). Ils remettront ça cette semaine en étudiant la politique du gouvernement Harper à l'égard des ressortissants canadiens coincés à l'étranger.

Justement, on a appris hier que le gouvernement contestera en Cour suprême l'obligation de rapatrier Omar Khadr de Guantánamo.

Le jour même où des révélations embarrassantes sur les méthodes de la CIA refont surface. Et le même jour où les États-Unis décident de libérer et de renvoyer en Afghanistan un jeune prisonnier de Guantánamo dont l'âge et l'histoire rappellent Omar Khadr.