Pendant que le reste du monde soigne les «jeunes pousses» d'une reprise encore fragile, la Russie s'enfonce dans la récession. À tel point que la grogne populaire menace le plus grand réservoir énergétique de la planète.

La grosse machine russe à pétrodollars, qui produisait des milliardaires au début des années 2000, s'enlise dans sa pire crise économique en deux décennies. En moins d'un an, la Russie est devenue le cancre du prestigieux club du BRIC.

Jeudi dernier, Moscou a dressé un bilan désastreux de la situation: l'économie russe a plongé de 10,1% au premier semestre 2009. C'est la plus forte contraction depuis le début des années 90, pire que celle subie lors de la débâcle financière 1997-1998.

La crise mondiale du crédit, la glissade du rouble et, surtout, la chute des prix du pétrole ont essentiellement effacé presque 10 années de croissance rapide.

La production industrielle russe affichait en juin un recul de 12,1% sur un an. Le recul dépasse même les 50% dans l'industrie automobile.

Le taux de chômage a doublé en un an. Et beaucoup de travailleurs qui ont encore un emploi ont du mal à se faire payer: les retards des versements de salaires toucheraient un tiers des salariés russes, selon des sondages.

Crise sociale

Dans un tel contexte, la société de conseil Eurasia, de New York, prévient que les troubles sociaux sont «inévitables» en Russie.

La Haute École d'économie de Moscou en rajoute, signalant une multiplication dans le pays «des manifestations spontanées causées par les retards de salaires». Déjà plusieurs conflits se manifestent.

À Pikaliovo (région de Saint-Pétersbourg), des ouvriers privés de travail après la fermeture des trois cimenteries réclamaient depuis des mois le versement de leurs indemnités, en vain. Ulcérés, les chômeurs ont bloqué début juin l'autoroute de la région, causant un bouchon de 400 km, selon l'AFP.

À Baïkalsk (Sibérie), les ouvriers de l'usine de cellulose ont menacé de bloquer le passage du train Transsibérien. Et à Zlatooust (région de Moscou), des métallos ont fait une grève de la faim récemment.

Comme la plupart des gouvernements de la planète, Moscou a mis sur pied cet hiver un plan de relance, injectant 100 milliards de dollars principalement dans des sociétés contrôlées par l'État.

Mais, de toute évidence, ce plan est mal structuré, déplorent des experts. La plus grande partie de cet argent a été dirigée vers les trois grandes banques publiques, Sberbank, VTB et Gazprombank. La commande de l'État était pourtant claire: ces banques devaient réanimer les prêts interbancaires afin que l'ensemble des banques prêtent à nouveau aux entreprises.

Les banques ne prêtent pas

Mais les banques privées n'ont pas vraiment joué le jeu, préférant gonfler leurs réserves parce que leur situation financière se dégrade rapidement.

Dans une étude récente, l'agence de notation Fitch confirme que les banques russes ont encore besoin de 20 à 80 milliards US de capitaux pour faire face à la marée montante des prêts problèmes.

Les mauvaises créances paralysent les banques russes, après quatre ans de distribution à tout-va de crédits à la consommation. Fitch estime que la part des créances douteuses atteindra à la fin de l'année 15 à 40% de l'ensemble des prêts. Standard and Poor's va plus loin, prédisant un taux de 25% de crédits douteux -un niveau qui plongerait les banques canadiennes dans une crise majeure.

Le patron d'Alfa Bank, plus importante banque privée en Russie, sonne l'alarme. Piotr Aven chiffre à 130 milliards US le besoin d'argent frais des banques et évoque même un «scénario à la japonaise» si l'État ne fait pas davantage pour aider ses banques.

«Le secteur (bancaire) a besoin d'un plan de recapitalisation représentant jusqu'à 10% du Produit intérieur brut (PIB), sinon nous ne pourrons pas redémarrer», dit le banquier, cité par les médias européens.

En attendant, les choses risquent de se gâter davantage.

Selon les analystes, un prix du brut avoisinant les 70$US le baril (contre 62$US ces temps-ci) permettrait à la Russie de sortir la tête de l'eau. Or, jeudi, le professeur Philip Verleger, consultant du gouvernement Obama en matière d'énergie, a créé tout un émoi dans les milieux pétroliers. Il a prédit que le brut chutera à 20$US le baril à la fin 2009 en raison de la faible demande mondiale.

Ce scénario, évoqué par l'agence Bloomberg, fait sourire plusieurs experts, dont les prédictions sont moins pessimistes. Mais à Moscou, on n'est pas d'humeur à rire ces temps-ci. Parions que plusieurs banquiers ont avalé leur vodka de travers en lisant cela.