Les images des investisseurs québécois qui ont été floués par le conseiller financier Earl Jones sont à la limite du supportable. Il n'y a évidemment pas trace de sang. Mais il y a une violence extrême dans le geste de voler les économies d'une vie, de faire basculer une existence.

Ces investisseurs se croyaient à l'abri des intempéries. Du jour au lendemain, ils sont confrontés à de graves soucis, voire à la pauvreté. Un choc si terrible que ces victimes abasourdies semblaient sans voix, dimanche, même si leurs visages étaient criants de cette angoisse qu'a si justement dépeinte l'artiste Edvard Munch.

Depuis le début de la crise financière, cette scène est trop familière. Les retraits des investisseurs inquiétés de la déroute des marchés ont fragilisé les escroqueries des Bernard Madoff et compagnie, qui reposent sur l'arrivée continue de nouveaux investisseurs alléchés par des rendements mirobolants. Un à un, ces systèmes de vente pyramidale s'effondrent comme des châteaux de cartes.

Comment ces investisseurs ont-ils pu se faire duper à se point? se demande-t-on. Vrai, Earl Jones savait se montrer charmant et persuasif, racontent ceux qui croyaient le connaître. Vrai, il avait su gagner au fil des ans la confiance de sa clientèle dans l'ouest de Montréal et ailleurs au Canada.

Pourtant, un coup de fil à l'Autorité des marchés financiers aurait suffi, ai-je entendu toute la fin de semaine aux nouvelles. La police des marchés encadre le travail de tous les professionnels qui sollicitent des clients afin de faire fructifier leurs épargnes. Si Earl Jones ne s'était pas enregistré auprès de l'Autorité, c'est que sa pratique était forcément louche.

Mais, combien de gens y songeraient spontanément ? La réalité, c'est qu'on se documente souvent plus avant d'acheter un chien que lorsqu'on choisit la firme à qui l'on confiera ses économies. Bref, à bien des égards, nous sommes des illettrés financiers.

Se faire pigeonner est souvent très lourd de conséquences, alors que les gouvernements sont de plus en plus fauchés et que les entreprises se désengagent de la retraite de leurs employés.

Diviser ses avoirs entre plus d'un gestionnaire. Vérifier avec qui on traite. Diversifier ses placements. Ne pas miser sur des produits financiers qui sont si complexes qu'on en comprend mal les rouages. C'est le b.a.-ba. Pas besoin d'être rompu aux subtilités des produits dérivés exotiques. Mais il faut au moins connaître quelques principes rudimentaires en finances.

C'est l'une des raisons pour lesquelles le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, a lancé, à la fin de juin, un groupe de travail sur l'éducation financière.

L'objectif est noble. Faire en sorte que les Canadiens s'y retrouvent lorsqu'ils financent l'achat d'une maison, qu'ils magasinent leur carte de crédit ou qu'ils économisent pour leurs vieux jours. Bref, qu'ils soient plus avertis.

Le problème, c'est le comment. C'est ce que ce groupe présidé par Donald Stewart, chef de la direction de la Financière Sun Life, doit déterminer. Ce comité de 13 membres, au nombre desquels se trouvent Jacques Ménard (BMO Nesbitt Burns), Marcel Côté (Secor Conseil) et Jean Vincent (Société de crédit commercial autochtone), doit faire rapport à l'automne de 2010.

Clairement, ce n'est pas en produisant un dépliant et une courte vidéo que l'on rejoindra les Canadiens, encore moins changer leurs habitudes financières et leurs comportements, comme le recours excessif au crédit.

Toutefois, une recension récente de la recherche universitaire pour le compte de la Financial Services Authority, l'autorité réglementaire du Royaume Uni, qui a aussi fait de l'éducation financière une priorité, démontre qu'on ne sait pas trop comment s'y prendre. Conférences en milieu de travail, formations, site web ?

Pis, même si on le soupçonne intuitivement, on est incapable de prouver qu'une meilleure éducation financière aide les citoyens à devenir des consommateurs plus futés de services financiers, conclut la chercheuse Adele Atkinson de l'Université Bristol.

Ce que l'on sait de façon certaine, c'est que les bonnes habitudes se prennent tôt. Ainsi, l'école est la meilleure façon de rejoindre tout le monde, puisque les destins se séparent ensuite. Dans le contexte, il est complètement aberrant que le ministère québécois de l'Éducation ait choisi de faire disparaître, à compter de la prochaine rentrée, le cours d'éducation économique. Ce cours était obligatoire au secondaire depuis 1982.

Les rudiments de l'économie seront dorénavant enseignés dans un cours intitulé Monde contemporain, sorte de fourre-tout de sciences humaines où il sera aussi question de géographie, de politique et d'histoire. Mais, tout ce qui a trait à la consommation a été évacué de ce cours axé sur l'actualité, comme le rapportait récemment ma collègue Stéphanie Grammond.

Le ministère invite les professeurs à intégrer des notions de consommation dans les cours de français, de mathématiques et d'anglais. Mais comme personne n'y est tenu, les résultats seront assurément inégaux.

Pis, comme le rapporte Adele Atkinson, certaines études démontrent qu'enseigner les finances personnelles durant un cours de mathématiques n'assure pas une bonne éducation financière tout en nuisant à l'apprentissage des maths !

Bref, s'il fallait donner une note, le Québec serait vraisemblablement recalé comparé à la Colombie-Britannique, où tous les élèves de la dixième année sont tenus de suivre un cours de finances personnelles.

Évidemment, une bonne éducation financière ne remplace pas une réglementation qui a des dents et des commissions des valeurs mobilières qui veillent au grain. Mais, comme le veut le dicton, on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même.

sophie.cousineau@lapresse.ca