Ses exportations chutent. Mais la consommation et les investissements domestiques montent en flèche. C'est la «nouvelle» Chine, qui surfe maintenant sur son marché intérieur.

Des ventes d'automobiles en hausse de 47%. Les achats de cuisinières et de téléviseurs qui grimpent de 42%. Le crédit bancaire et les ventes de maisons à des niveaux records...

On croirait revoir des données américaines d'il y a trois ou quatre ans. Mais ce sont les statistiques chinoises... du mois dernier.

Quel revirement! Après son adhésion à l'OMC (Organisation mondiale du commerce), en novembre 2001, la Chine a surfé pendant sept ans sur une énorme vague d'exportations. Une majorité de Chinois pendant ce temps achetait peu, regardant passer les conteneurs remplis de produits made in China destinés aux Occidentaux.

Mais la balance est en train de basculer. L'empire du Milieu mise de plus en plus sur son marché domestique pour assurer sa croissance.

L'exportation étant en panne, l'État consacre tous ses efforts au soutien de la consommation et de l'investissement. Et les Chinois acceptent de mettre l'épaule à la roue.

Le plan fonctionne

La crise économique a bouleversé la relation entre la Chine et le reste du monde.

En mai, les exportations chinoises ont plongé de 26% par rapport à il y a un an. Une chute record, dramatique. Au chapitre du commerce extérieur, toute relance semble donc impossible tant que les États-Unis et l'Europe ne sortent pas de leur récession.

À première vue, les importations chinoises suivent une trajectoire semblable: -25% en mai. Mais ce chiffre est trompeur, car il reflète la baisse des prix des ressources naturelles. En réalité, la Chine a augmenté sensiblement ses achats de cuivre, d'aluminium et de divers métaux.

C'est un effet direct du plan de relance de 700 milliards (5350 milliards de yuans), annoncé par Pékin en novembre, qui prévoit des investissements dans les infrastructures et des subventions à la consommation.

Les banques étrangères présentes en Chine font état de chantiers majeurs dans tout le pays. Les investissements en zones urbaines ont bondi de 33% en cinq mois. Et dans le secteur ferroviaire, les dépenses ont plus que doublé.

Goldman Sachs évalue qu'une fois l'inflation prise en compte, les investissements domestiques au pays ont crû de près de 50% en un an. Du jamais vu auparavant.

Dans le cadre de son plan, Pékin offre également une aide aux ménages, en région surtout, pour l'achat de voitures et d'appareils ménagers. Et les Chinois en profitent: les ventes au détail ont bondi de 15% le mois dernier, en pleine crise économique planétaire.

Si bien que la Banque mondiale a relevé ses prévisions, mercredi, tablant sur une croissance de 7,2% pour l'économie chinoise en 2009 au lieu de 6,5% auparavant.

Encore le découplage?

Tout indique alors que la Chine va sortir de cette crise bien avant les États-Unis et l'Europe, et dans de meilleures conditions.

Au rythme actuel, à la différence des pays occidentaux et du Japon, la République populaire n'aura jamais connu de récession véritable. La prévision gouvernementale d'une croissance de 8% en 2009, jugée trop optimiste en début d'année, pourrait donc se réaliser.

La théorie du «découplage» - soit une économie chinoise voguant allègrement sans être trop affectée par la récession mondiale - refait même surface en Europe ces jours-ci. Quoique des experts en Amérique demeurent sceptiques.

«Pour que la relance de la Chine puisse continuer, au-delà du court terme, les autorités devront s'assurer que la consommation demeure en croissance», affirme Jin Ulrich, présidente Bourse asiatique, chez JP Morgan.

Les Chinois dépensent beaucoup ces temps-ci, mais «ce rythme n'est pas durable», renchérit la Banque mondiale, depuis Washington, en mettant en garde contre les effets d'un déficit budgétaire accru en 2010. «Il y a des limites à ce que la Chine peut faire et pendant combien de temps, en se distinguant de la conjoncture internationale», soutient l'organisme dans son dernier rapport.

Pour le moment, cependant, seul le marché domestique compte aux yeux de Pékin. Quitte à jeter de l'huile sur le feu protectionniste, comme le gouvernement l'a fait la semaine dernière en décrétant une politique «Achetez chinois», qui oblige les autorités régionales à s'approvisionner localement. Bref, on a installé une grosse barrière pour protéger les fournisseurs du pays.

La tactique est dangereuse. Déjà des voisins de la Chine envisagent de porter plainte à l'OMC.

Mais le pays qui a érigé la Grande Muraille en a vu d'autres. Et les autorités chinoises semblent davantage s'inspirer de ce vieux proverbe cantonais: «Aimez vos voisins, mais ne supprimez pas votre clôture.»