Relâche scolaire, hiver 2008. En vacances dans les Cantons de l'Est, je me délecte à la perspective d'avoir quelques jours pour entamer cette « formidable trilogie policière » d'un auteur suédois inconnu qu'un collaborateur du cahier Lectures a louangée, quelques semaines plus tôt.

Le fait que l'un des protagonistes de la trilogie Millénium soit un reporter économique n'est pas étranger à ma curiosité. Les reporters business jouent rarement les héros. Et ils n'ont pas toujours le beau rôle. Pensez à The Insider. Ce film de Michael Mann reproche à la célèbre émission 60 Minutes d'avoir censuré l'entrevue d'un cadre de l'industrie du tabac qui tire la sonnette d'alarme sur les dangers de la cigarette.

La librairie la plus proche se trouve à 30 kilomètres. Au téléphone, le commis me suggère fortement de mettre de côté une copie du premier tome, étant donné qu'il ne lui en reste plus que deux. Plus de 1900 pages et quelques nuits blanches plus tard, je comprends pourquoi.

Et je maudis injustement Stieg Larsson de s'être laissé emporter par une crise cardiaque à 50 ans, peu après avoir remis ses manuscrits à son éditeur. Comme des millions de lecteurs en sevrage forcé, je ne pourrai jamais assouvir mon accoutumance aux dangereuses aventures de Mikael Blomkvist et de Lisbeth Salander.

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Mikael Blomkvist s'annonce comme un reporter à l'économie. Toutefois, son travail à la revue suédoise Millénium - d'où la trilogie tire son nom - se rapproche plutôt du fait divers et de l'enquête policière. D'ailleurs, le personnage a hérité son surnom de «Super Blomkvist» après avoir débusqué une bande de braqueurs de banque.

Dans le premier tome de la trilogie qui prend l'affiche ce week-end à Montréal, Mikael Blomkvist est condamné à trois mois de prison pour diffamation aggravée. Il a injustement accusé l'industriel Hans-Eric Wennestrom d'avoir détourné des fonds publics qui étaient destinés à la reconstruction de la Pologne après la chute du Mur de Berlin, afin de financer du trafic d'armes. Explosif.

Wennestrom a effectivement détourné des fonds. Mais pas pour vendre des armes. Se sachant sous enquête de Millénium, l'homme d'affaires a produit des faux documents et de faux témoignages de sources qui sont disparues dans la nature, une fois l'article publié. Le piège parfait dans lequel la plupart des journalistes tomberaient. Du coup, c'est tout l'article de Blomkvist qui est discrédité.

Mais ces événements qui ouvrent et qui concluent le premier tome ne constituent qu'une immense parenthèse. C'est au centre de celle-ci que se développe un polar haletant.

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Millénium reste malgré tout une grande histoire d'affaires, même si ce «success story» serait sans doute trop sympathique pour être publié dans les pages de Millénium !

C'est avant tout un succès d'édition qui s'est bâti sur le bouche à oreille. Plus de 12,5 millions de copies des trois tomes ont été écoulées à ce jour, dans 35 pays. Succès d'autant plus étonnant qu'il s'est construit à l'extérieur des États-Unis, où un seul tome de Millénium est arrivé sur les tablettes des libraires.

La trilogie a fait un tabac en Europe. Au cours de la dernière année, Stieg Larsson a été le romancier le plus lu du Vieux-Continent, devant Khaled Hosseini, l'auteur des Cerfs-Volants de Kaboul. C'est ce qu'ont constaté les chercheurs Rüdiger Wischenbart et Miha Kovac après avoir compulsé les listes des best-sellers en Allemagne, en France, en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Suède entre avril 2008 et mars 2009.

L'engouement a traversé l'Atlantique. Au Canada - lire au Québec -, il s'est vendu plus de 300 000 copies des trois tomes de Millénium traduits en français, estime la maison Leméac qui distribue les éditions Actes Sud au pays.

Ce succès en librairie constitue un tremplin formidable pour les films portés au grand écran. Produit avec un budget de seulement 4 millions d'euros (6,2 millions CAN), contre 150 millions US pour l'adaptation du best-seller Anges et Démons, le premier tome de Millénium a déjà récolté 27 millions d'euros (41,6 millions CAN) en entrées au box-office.

En France, le pays où Millénium a remporté le succès le plus vif à l'extérieur de la Scandinavie, le film a démarré sur 550 écrans il y a deux semaines.

«Le film bénéficie d'une visibilité incroyable, avec un investissement qui va bien au-dessus de ceux normalement consentis aux blockbusters américains», note Emmanuelle Bouilhaguet, directrice des ventes pour le catalogue scénarisé de Zodiak Entertainment. Filiale du groupe italien De Agostini, Zodiak regroupe une trentaine de producteurs en Europe, dont Yellow Bird, le producteur de Millénium, de Stockholm.

Plusieurs distributeurs ont surenchéri pour acquérir les droits de Millénium, lors des festivals de Berlin et de Cannes. Un exploit dans un marché du film cannois affligé par la morosité économique, avec des ventes qui se sont raréfiées (surtout pour les films inachevés) et des prix en forte baisse. La discrétion des Américains y est pour beaucoup.

Ainsi, les droits pour Millénium n'ont pas encore été acquis pour le territoire des États-Unis. Étant donné que les films ne sont jamais doublés en anglais mais sous-titrés, cela confine souvent les films étrangers aux cinémas de répertoire, note Emmanuelle Bouilhaguet. Elle mise tout de même sur la vente du film plutôt que sur une adaptation qui édulcorerait la violence crue de l'oeuvre.

Le distributeur montréalais Alliance Vivafilm a mis la main sur les droits de Millénium pour le Canada et le Royaume-Uni. Toutefois, un rival lui a soufflé le marché de l'Espagne à la suite d'une surenchère.

«Je m'attends à ce que soit l'un des grand succès du cinéma européen de l'été», dit Patrick Roy, président d'Alliance Vivafilm, en précisant qu'Alliance ne dévoile jamais ses prévisions pour le box-office.

«Ce qui est extraordinaire, ajoute-t-il, c'est que Millénium représente trois films en un.» Alliance n'aura donc pas à reprendre de zéro son battage publicitaire. Les deux derniers volets de la trilogie, dont le tournage est complété, prendront l'affiche dès l'automne.