Une amende pour les non-votants?

C'est mon journal qui posait la question dans son numéro de mercredi, reprenant ainsi les conclusions d'universitaires sur l'apathie des jeunes électeurs au Canada.

Selon des professeurs de sciences politiques réunis à Vancouver, dont Lawrence LeDuc, de l'Université de Toronto, «l'indifférence des jeunes et la perception négative des politiciens expliqueraient, en partie, la défection de la population vis-à-vis le processus électoral».

 

Ces conclusions ne sont pas très surprenantes. Ce qui l'est, c'est que l'on propose du même souffle de punir les électeurs, donc surtout les jeunes, qui boudent les urnes.

Qu'est-ce qui vient en premier: l'indifférence des jeunes ou la perception négative des politiciens? L'indifférence ne serait-elle pas créée par l'image négative des politiciens?

Si on part du principe que les jeunes ne s'intéressent pas à la politique et que, de ce fait, ils se font une idée négative des politiciens, on fait fausse route. En fait, les jeunes réagissent à ce qu'ils voient: un milieu peu stimulant, fermé sur lui-même, peuplé de gens beaucoup plus âgés qu'eux, qui ne parlent pas des sujets qui branchent la jeunesse. Un milieu, aussi, trop souvent éclaboussé par des scandales sordides et qui carbure au concentré de cynisme.

Je n'ai pas fait de savantes études doctorales sur le sujet, mais c'est ce que j'observe sur le terrain depuis une quinzaine d'années. C'est aussi ce que les jeunes de Forum-Jeunesse, qui m'ont fait l'honneur de m'inviter comme conférencier le week-end dernier en Abitibi, m'ont répété en choeur, moi qui venais de leur faire l'éloge de l'engagement politique pendant deux heures.

Je comprends fort bien vos réticences, et elles sont fondées, leur ai-je dit, mais vous ne changerez pas le jeu politique en restant sur les lignes de côté. Chaque génération est porteuse de ses propres priorités. Les jeunes peuvent bien accuser les baby-boomers d'avoir fait le vide autour d'eux, mais il faut reconnaître que les moins de 40 ans ne se bousculent pas pour combler ce vide.

En fin de soirée, trois jeunes filles m'ont abordé pour me dire: «Vous savez, les partis politiques ne nous intéressent pas, on ne s'y retrouve pas, c'est pour cela que l'on milite dans une organisation non partisane».

De toute évidence, mon long exposé n'a pas su les convaincre!

Nous sommes ici devant un cercle vicieux: les partis politiques rebutent les jeunes, qui boudent les partis politiques, ceux-ci ne représentent donc pas les jeunes, qui, eux, ne se reconnaissent pas dans les partis politiques.

Résultat: les partis politiques font les débats des parents des jeunes électeurs. La confrontation souverainiste-fédéraliste, par exemple, qui continue d'occuper beaucoup d'espace, mais dans laquelle les jeunes ne se reconnaissent plus.

Pourquoi en est-il ainsi?

D'abord parce que les partis politiques sont devenus des «business», des organisations fermées mues par des réflexes corporatistes et dirigés par une poignée de «chums», des technocrates dont le principal but est de maintenir le calme dans les troupes et dont le seul objectif est le pouvoir.

En bref, les partis politiques sont devenus «plates». Même le Parti québécois, jadis haut lieu des débats épiques sur l'avenir du Québec et des grandes réformes.

Les scandales et le cynisme ambiant n'aident certainement pas non plus à faire monter la cote des partis politiques auprès des jeunes. En voyant Brian Mulroney slalomer pendant six jours entre les questions d'une commission d'enquête, combien de jeunes (et de moins jeunes, d'ailleurs) se sont dit: plus ça change, plus c'est pareil en politique...

La relève fait défaut en politique, c'est l'évidence, mais le manque d'élévation des politiciens de carrière n'a rien pour attirer les jeunes talentueux.

Prenez Montréal, par exemple, où seulement de 20 à 30% des jeunes électeurs ont voté aux dernières municipales. Pensez-vous vraiment que le manque de leadership et les odeurs de scandale qui flottent à l'hôtel de ville sont de nature à inciter de jeunes brillants à se lancer à la rescousse de leur ville? Ou même d'aller voter aux prochaines élections, en novembre?

Le mode de scrutin comme tel explique aussi en partie l'apathie des jeunes électeurs. Pour des jeunes branchés en permanence, il y a quelque chose d'archaïque à devoir faire la queue dans un sous-sol d'église entre 8h et 20h pour aller griffonner un bout de papier.

Le fait de ne pas compter les abstentions comme telles indispose aussi certains jeunes, qui aimeraient que l'on considère leur geste comme une décision politique (au Canada et au Québec, il n'y a pas de case «abstention» ou «aucun de ces partis», on met tous les bulletins non conformes dans «votes rejetés»).

On a beau répéter que «voter, c'est un devoir», il reste que c'est d'abord et avant tout un droit et, par conséquent, le droit, aussi, de ne pas voter.

Infliger des amendes forcerait sans doute plus d'électeurs à voter. Il s'agit toutefois de la voie de la facilité qui permet, commodément, d'oublier que le problème, c'est la politique, pas les électeurs.

Cela ne ferait rien non plus pour inciter la relève à se lancer en politique.

Pour attirer les jeunes vers les urnes, la carotte vaudrait certainement mieux que le bâton.

Pour joindre notre chroniqueur vincent.marissal@lapresse.ca