Le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, a enfin enlevé ses lunettes roses.

Non seulement la banque centrale a-t-elle abaissé hier son taux directeur à 0,25%, mais, surprise, elle s'engage à le maintenir à ce niveau jusqu'à la mi-2010. Elle rejoint ainsi sa voisine du Sud, la Réserve fédérale américaine, qui a réduit son taux au plancher il y a déjà belle lurette.

La Banque du Canada envoie aussi par-dessus bord sa boule de cristal de janvier. Ses prévisions de recul du PIB en 2009 sont passées de 1,2% à 3% en trois mois à peine. Et lorsque la reprise se pointera le bout du nez, la croissance canadienne n'atteindra pas 3,5% en 2010, comme la banque centrale l'avait initialement prédit, mais plutôt 2,5%, ce qui semble déjà un brin optimiste.

 

Jusqu'à hier, la Banque du Canada nous donnait l'impression de vivre sur une autre planète économique: ses projections plutôt jovialistes tranchaient avec celles plus sombres de l'ensemble des économistes. En se mettant au diapason, la banque centrale fait réaliser en même temps aux Canadiens à quel point la récession sera profonde. Sans presser sur le bouton de panique.

M. Carney s'est finalement résigné à virer capot quand son équipe d'experts a conclu que les effets des programmes de stimulation des pays industrialisés prendraient plus de temps à se faire sentir dans l'économie réelle.

La Banque du Canada n'en restera pas là. Demain, on s'attend à ce qu'elle sorte la planche à billets. Question d'épauler les banques, quoique déjà solides, pour accroître leurs liquidités et ainsi faciliter le crédit aux entreprises et aux consommateurs.

«Nous ne sommes pas sortis du bois», a averti le président américain Barack Obama, il y a quelques jours, en pesant ses mots. Les développements récents lui donnent raison. Pas plus tard qu'hier, un rapport du Fonds monétaire international prévoyait que les institutions financières encaisseraient des pertes de 4100 milliards de dollars à l'échelle mondiale. À elles seules, les banques américaines assumeront les deux tiers du recul.

Tout en annonçant avoir retrouvé le chemin de la rentabilité, Bank of America a ébranlé les marchés financiers lundi en augmentant de 60% ses provisions pour créances douteuses. Face à un marché immobilier chancelant et un taux de chômage galopant, les Américains ont de plus en plus de difficultés à rembourser leurs dettes de cartes de crédit. Le secteur financier est en meilleure santé qu'à l'automne, vrai, mais les défauts de paiement pourraient plomber son bilan pendant encore un bon bout de temps. L'annonce de Bank of America a porté un coup dur à l'embellie boursière des six dernières semaines.

Dès l'automne dernier, l'économiste Nouriel Roubini, réputé pour avoir prédit l'ampleur de la présente débâcle financière, avait évoqué le spectre d'une crise des cartes de crédit potentiellement aussi dévastatrice que la dégringolade du marché immobilier aux États-Unis. Le taux d'endettement élevé des Canadiens forcera les banques à redoubler de vigilance.

Espérons maintenant que la Banque du Canada n'aura pas à réviser encore à la baisse ses prévisions de croissance. Son coffre à outils est de moins en moins garni.