Aux États-Unis, on ne rit pas avec l'information privilégiée.

Le plus célèbre cas a été l'affaire Martha Stewart et sa vente d'actions de la société pharmaceutique américaine Imclone. La SEC, l'organisme réglementaire américain, avait fait condamner à sept ans d'emprisonnement et 4 millions US d'amende le fondateur d'Imclone, Sam Waksal, pour avoir transmis des informations privilégiées, notamment à sa fille, juste avant l'annonce d'une importante nouvelle.

Pour sa part Martha Stewart, une amie de Waksal, est allée elle aussi en prison après avoir été reconnue coupable d'avoir menti aux enquêteurs à propos de sa propre vente d'actions de ImClone, en tentant d'empêcher la SEC de porter des accusations de délit d'initié contre elle.

 

Ici, au Québec, l'information privilégiée ne pose pas problème!

À preuve, depuis qu'elle existe, l'Autorité des marchés financiers (dont l'ancêtre est la CVMQ) n'a jamais poursuivi les initiés (dirigeants, administrateurs, gros actionnaires) qui ont transmis des informations privilégiées (non connues du public).

Et en fermant les yeux sur l'affaire de Grandpré que La Presse Affaires a dévoilée mercredi, l'Autorité des marchés financiers vient de rater une belle occasion de démontrer aux initiés des entreprises inscrites en Bourse et aux firmes de courtage qu'elle les surveillait de près et qu'elle serait intransigeante dans les dossiers d'information privilégiée.

En vertu de l'article 188 de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec, il est carrément interdit aux initiés de donner la moindre information privilégiée. Les initiés qui contreviennent à cet article sont passibles d'une peine d'emprisonnement de cinq ans.

Alors qu'il a été clairement démontré lors des auditions de l'ex-courtier Georges Métivier devant l'Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières (ACCOVAM) et le Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières (BDRVM) que l'ex-président de BCE, A. Jean de Grandpré, avait transmis une information privilégiée susceptible de faire grimper l'action d'une entreprise américaine dont il était administrateur, l'Autorité des marchés a décidé de ne pas mener d'enquête et de fermer le dossier de M. de Grandpré.

Tout au plus, l'Autorité des marchés s'est-elle contentée de blâmer l'ACCOVAM pour ne pas l'avoir informé adéquatement sur cette information privilégiée de M. de Grandpré.

Ainsi, à l'instar de l'ACCOVAM (l'organisme d'autorégulation des maisons de courtage), l'Autorité des marchés accorde à Jean de Grandpré une sorte d'impunité face à cette information privilégiée qu'il avait donnée le 8 novembre 2000 à ses deux courtiers de RBC Dominion valeurs mobilières.

Cette information non connue du public portait sur l'annonce prochaine d'un important investissement d'une société européenne dans Metro One, laquelle annonce était susceptible de faire grimper l'action de 14$US jusqu'à 25$US. L'annonce en question a été effectivement dévoilée le lendemain (9 novembre 2000), ce qui a permis au titre de grimper lors des mois suivants jusqu'à 45,00$US. Comme il détenait un gros bloc d'actions et d'options de Metro One, M. de Grandpré désirait attirer l'attention de ses courtiers sur l'appréciation possible de la valeur de son portefeuille à la suite de la diffusion de cette annonce.

Par ailleurs, pour vous démontrer à quel point le commerce des valeurs mobilières est mal encadré au Canada, et plus particulièrement au Québec, les enquêteurs et les juges de l'ACCOVAM n'étaient pas les seuls à sembler avoir oublié la loi sur les valeurs mobilières et son article 188 portant sur l'interdiction aux initiés de communiquer des informations privilégiées.

Les trois juges du BDRVM, le tribunal administratif chargé de statuer en février 2005 sur la demande de révision de la condamnation du courtier de M. de Grandpré par l'ACCOVAM, n'ont également pas avisé l'Autorité des marchés sur l'information privilégiée qu'avait transmise M. de Grandpré. Comme s'ils n'étaient pas au courant que l'article 188 de Loi sur les valeurs mobilières interdit aux initiés de communiquer une information privilégiée, non connue du public.

Et que dire maintenant du manque de clairvoyance du personnel de l'Autorité des marchés financiers chargés de suivre les avis d'audition et les décisions de l'ACCOVAM et du BDRVM, lesquels avis et décisions leur parviennent automatiquement. Alors qu'il était clairement mentionné sur tous ces documents qu'il s'agissait d'une cause liée à une information privilégiée transmise par un initié, le personnel de l'Autorité a lui aussi fermé les yeux sur l'infraction potentielle à l'article 188 de sa loi sur les valeurs mobilières. Pour justifier la suspension de 10 ans imposée à l'ex-courtier Georges Métivier, accusé de délit d'initié sur une transaction non rentable qui s'est avérée sans conséquence, les trois juges du Conseil de section de l'ACCOVAM ont pris la défense de M. de Grandpré.

«Aussi, le Conseil de section s'en voudrait de ne pas mentionner sa vive préoccupation à l'égard des risques que l'intimé (Métivier) a fait courir à M. X (de Grandpré) en utilisant illégalement l'information qui lui avait été communiquée en toute confiance par M.X, un de ses clients de longue date. Les gestes posés par l'intimé constituent un manquement grave à son devoir de fiduciaire envers M.X.» Est-il important de rappeler ici à l'ACCOVAM, au BDRVM et à l'Autorité des marchés que la source première d'un délit d'initié... c'est la transmission d'une information privilégiée.